Rencontre avec l’animateur du rendez-vous hebdomadaire des mélomanes toulousains sur Radio Mon Païs.
Pouvez-vous évoquer les grandes lignes de votre CV professionnel ?
J’ai suivi une formation d’archéologue qui m’a conduit à l’étude spécifique des mines métalliques, de la métallurgie, du patrimoine industriel et de l’histoire des forêts, sur une période historique comprise entre l’Antiquité et le XIXe siècle. Il est arrivé un moment où des raisons de santé m’ont poussé à me reconvertir en tant que médiateur culturel. C’est ainsi que j’ai été amené à présenter des concerts, à prononcer plusieurs conférences d’initiation consacrées à l’opéra dans le cadre de comités d’entreprise, et, in fine, à faire de la radio.
Comment avez-vous accompli votre formation musicale ?
Je l’ai poursuivie en autodidacte, à travers l’écoute de France Musique et, par la suite, au contact de mes invités radio, qui m’ont appris des quantités de choses. J’ai également été choriste – baryton martin -, ce qui m’a permis d’acquérir quelques bases en solfège et de maîtriser la lecture musicale. Cela dit, je n’ai pas fait de conservatoire, et je ne suis donc pas musicien de métier.
Quel rapport entretenez-vous avec la ville de Toulouse ?
Cette relation est liée à l’Ariège. Quand j’étais adolescent – vers treize ou quatorze ans -, mes parents, venus de Paris, se sont installés dans ce département. J’ai fait mes études au lycée de Saint-Girons, avant d’aller m’installer à Toulouse dans les années qui ont suivi. Après plusieurs détours, entrepris notamment du côté de Lyon, je suis retourné dans la ville rose pour la naissance de ma fille, et j’y suis resté depuis.
À quelle date et dans quelles circonstances avez-vous été amené à créer L’oreille à la page ?
Cela remonte à l’année 2006. J’y ai été poussé par l’envie de faire de la radio, ajoutée au besoin – évoqué plus haut – d’amorcer une reconversion professionnelle. Le monde de la musique classique faisait partie de mes passions, et j’espérais trouver un créneau médiatique autour de cet univers pour m’insérer à nouveau socialement et économiquement. J’ai d’abord effectué un stage à Radio Occitània, afin d’évaluer mon potentiel radiophonique. Par la suite, le directeur de ladite radio m’a proposé d’animer une émission consacrée au thème qui m’intéressait. Je suis resté sur Radio Occitània pendant deux ans, avant de la quitter pour diverses raisons et d’atterrir à Radio Mon Païs, où je suis toujours.
Pourriez-vous présenter le format de l’émission à ceux qui ne le connaîtraient pas ?
Mon idée était d’aller à la rencontre des acteurs de la musique classique et lyrique à Toulouse, en essayant de donner aux auditeurs la possibilité d’apprendre. Je ne souhaitais pas faire une émission pour initiés, pleine de termes techniques et de jargon, mais au contraire amener la musique classique à la portée de tout le monde. Pour cela, il me fallait privilégier les mots simples, proposer plusieurs plages musicales par émission et tenir l’auditeur informé de l’actualité des concerts, qui présiderait au choix de mes invités. Le format de l’émission a été pensé ainsi il y a dix ans. Il n’a pas beaucoup changé depuis.
Comment choisissez-vous les participants hebdomadaires de L’oreille à la page ?
Il n’y a pas de critères prédéterminés. J’essaye d’aborder un large éventail de thématiques liées à la musique classique, en évitant de me focaliser sur l’opéra, qui constitue ma plus grande passion. A travers mon rôle d’animateur, je tente surtout de rester fidèle à une certaine idée du service public : il faut que l’émission soit ouverte à tout type de répertoire, depuis les polyphonies médiévales jusqu’à la création contemporaine. La liste des thématiques abordées illustre cet objectif : récemment, nous avons reçu les Sacqueboutiers – fidèles de L’oreille à la page – pour évoquer un disque consacré à la musique du bas Moyen-âge ; Bertrand Dubedout, qui incarne une tendance très différente, fait également partie de nos invités les plus réguliers. Le panel des musiques jouées à Toulouse est extrêmement vaste. Il faut mettre à profit cette diversité – et ainsi lui rendre hommage – en élargissant notre programmation au maximum. C’est là l’objectif que je me suis fixé en priorité.
Quelles sont les modalités permettant d’obtenir des informations sur les actualités classiques toulousaines ?
La pérennité de l’émission – qui va sur ses dix ans – me permet aujourd’hui d’être tenu informé de manière régulière par courrier électronique. Beaucoup d’organisateurs de spectacles, de responsables d’orchestres, de chefs de chœur etc. connaissent L’oreille à la page et m’envoient leurs avis de concerts. Parallèlement, je reçois le programme annuel de l’Orchestre du Capitole, du Théâtre, de l’Orchestre de chambre et de toutes les grandes institutions musicales toulousaines. Je me déplace également jusqu’au Conservatoire pour prendre connaissance du programme de concerts qu’il met en place. Au total, je réussis à obtenir des informations sur les ¾ des manifestations classiques toulousaines, ce qui me permet d’enrichir autant que possible les programmes de l’émission.
Quels sont vos meilleurs souvenirs radiophoniques ?
Plusieurs me reviennent spontanément à l’esprit : d’abord, une très belle émission avec Jean-Marc Andrieu, consacrée à l’ensemble baroque montalbanais Les Passions. A l’époque, l’orchestre proposait une « saison toulousaine » composée de plusieurs concerts donnés en la chapelle Ste Anne de Toulouse. C’est à cette occasion que j’avais reçu Jean-Marc Andrieu – qui était déjà venu plusieurs fois dans L’oreille à la page -, afin d’évoquer non seulement le prochain concert des Passions, mais aussi la personnalité et le parcours de celui qui avait créé l’ensemble en 1986. Je m’étais renseigné auprès de ceux qui le connaissent bien afin de découvrir les centres d’intérêt qu’il cultivait en dehors du baroque. Cette recherche avait débouché sur une émission très originale, émaillée de petits extraits musicaux pensés comme autant de clins d’œil à la vie et aux goûts de mon invité – l’un d’entre eux, évoquant le rhum, rappelait, par exemple, le voyage en Martinique dont il venait de rentrer. Jean-Marc Andrieu traversait alors une période un peu difficile : il sortait d’un accident de vélo qui lui avait laissé le bras en écharpe et son moral n’était pas au beau fixe. L’émission avait contribué à inverser cette tendance : il en était sorti radieux et extrêmement reconnaissant. Aujourd’hui encore, je garde un souvenir très ému de ce beau moment de radio. Je repense également aux deux émissions que j’ai consacrées à Mady Mesplé, notamment à la deuxième, centrée autour du livre dans lequel elle détaillait la réalité de sa maladie. Je savais qu’elle était un peu agacée de se voir réduite, lors des interviews, aux grands airs qui ont forgé sa légende – les « clochettes » de Lakmé, par exemple. J’avais donc décidé de passer des extraits où on l’entendait chanter en compagnie de ses amis et collègues – Alain Vanzo, Gabriel Bacquier etc. En fait, je ne suis même plus certain d’avoir passé du Mady Mesplé ce jour-là ! L’idée l’avait séduite, et je me souviens avoir vu, à certains moments, quelques larmes briller dans ses yeux… En repartant elle m’a dit : « vous m’avez posé des questions que l’on ne me pose jamais ». Je l’ai pris comme un très beau compliment. Mady Mesplé est une femme merveilleuse. Elle a été l’une des plus grandes artistes lyriques de son temps, et le succès ne lui a jamais fait perdre son extraordinaire simplicité. Un autre grand souvenir, donc, auquel je reste très attaché.
Mady Mesplé et Claude Dubois
Le dynamisme musical de la ville est-il suffisant pour permettre le renouvellement des sujets abordés pendant l’émission ?
De fait, les concerts sont très nombreux, notamment durant les mois de mai et décembre, où les ensembles proposent au public le programme qu’ils ont mis au point durant les semaines précédentes. Il m’arrive parfois d’annoncer quatre ou cinq manifestations musicales organisées le même jour dans la région. La richesse est donc au rendez-vous, mais Toulouse, malgré tout, n’est pas Paris. Le choix est moindre, et il ne faut pas confondre le nombre des concerts avec celui des « prestataires » : il n’y a pas tant d’orchestres que ça à Toulouse, et les chœurs professionnels sont également limités quantitativement. A terme, le choix finit par être un peu restreint, mais ce n’est pas un problème en soi : je viens de recevoir Pierre Bleuse, qui était déjà venu plusieurs fois dans L’oreille à la page. Nous avons encore passé un excellent moment, car Pierre a toujours des choses intéressantes à dire, et l’on apprend beaucoup en sa compagnie. Au final, même s’il arrive que l’on tourne un peu en rond, cela n’a donc pas trop d’importance.
Quel est votre premier souvenir relatif à l’art lyrique ?
C’était dans les années 1980. Alors que j’étais encore choriste, j’ai rencontré une jeune soliste professionnelle qui travaillait pour le théâtre du Capitole. Elle m’a ouvert les portes de l’établissement, et, par là-même, du monde de l’opéra, que je connaissais encore très mal. La représentation à laquelle j’ai assisté ne m’a pas marqué, mais elle m’a permis d’entrer en contact avec un univers qui m’a tout de suite séduit. C’est pourquoi j’en ai conservé le souvenir.
Quels furent vos plus grands éblouissements musicaux ?
Le premier renvoie à mon enfance : petit garçon, j’ai assisté à une représentation parisienne des Quatre saisons qui m’a complètement émerveillé. Aujourd’hui encore, je ressens une émotion très particulière lorsque je suis amené à entendre un extrait de cette œuvre incomparable. Quelques années plus tard, lorsque j’étais à l’école primaire, j’ai été nommé soliste de la chorale scolaire, et ce statut m’a offert la possibilité d’assister, chaque mois, à une représentation offerte par le Théâtre du Châtelet. Je garde de cette période une magnifique impression. Bien après, il y a eu un Lohengrin berlinois, qui m’a causé une petite frayeur : en arrivant dans la ville, j’ai constaté que le personnel technique était en grève, et que le spectacle était en passe d’être annulé. Finalement, les chanteurs et les choristes ont décidé de donner l’opéra en version concert. La qualité de la représentation, ajoutée aux circonstances qui l’avaient précédée, a contribué à fixer cette soirée dans ma mémoire de façon définitive.
Pouvez-vous citer, à brûle-pourpoint, les ouvrages qui vous sont les plus chers ? Plus globalement, pour quel répertoire classique ressentez-vous les plus d’affinités ?
J’ai déjà indiqué que l’opéra constituait ma véritable passion. S’agissant des compositeurs, je citerai plus particulièrement Wagner et Richard Strauss, ou, à un degré moindre, Verdi et Puccini. L’un des grands moments musicaux de ma vie aura été la représentation toulousaine de La Femme sans ombre, dont on peut dire qu’elle a été le sommet de ce que Nicolas Joël nous a proposé durant son passage à la tête du Capitole. Un opéra que je ne connaissais pas, une distribution de rêve – il suffit que Janice Baird ouvre la bouche pour que je me mette à pleurer ! – et une mise en scène efficace… Que demander de plus ?
Quel est votre instrument de prédilection ?
La voix, forcément ! Et en deuxième lieu, l’orgue.
Quels sont les artistes les plus marquants qu’il vous ait été donné de voir ou d’entendre ?
Janice Baird, Wolfgang Seifen – un organiste allemand très déjanté qui m’a mis en transe lors d’un ciné-concert sur le Faust de Murnau, organisé en 2008 à St Sernin -, Ludovic Tézier, Roberto Alagna, et beaucoup d’autres.
Wolfgang Seifen
Les CDs-DVDs que vous conseilleriez d’emblée à un néophyte ?
Pour moi, les CDs et les DVDs, même lorsqu’ils sont de bonne qualité, restent de la « boite de conserve ». Je lui conseillerais donc plutôt d’aller écouter Carmen ou La Traviata, opéras faciles d’accès qui offrent une excellent initiation au monde lyrique. A contrario, les œuvres de Wagner et Strauss, plus longues et plus difficiles, ne conviennent pas forcément à un débutant. Il faut sans doute attendre un peu avant de s’y frotter.
Auriez-vous un ouvrage (papier) à recommander spécialement au profane, et à l’amateur confirmé ?
La biographie de Chostakovitch rédigée par Krzysztof Meyer et publiée chez Fayard en 1994. Cet homme a eu une vie aussi dure que singulière. Il est l’un de mes compositeurs favoris. Quand on sait ce qu’il a vécu, on écoute sa musique d’une manière très différente, et on l’apprécie d’autant plus.
Quelle est la dernière production qui vous ait subjugué ?
C’est celle que je n’ai pas vue : le Rigoletto de cette ouverture de saison du Capitole avec Ludovic Tézier qui fut vocalement extraordinaire m’a-t-on dit. Autrement, la récente mise en scène lyonnaise de La Juive (Halévy). Cet opéra est très rarement donné car il exige une distribution exceptionnelle – avec, notamment, deux ténors de premier plan. L’opéra de Lyon a brillamment relevé le défi. Les chanteurs ont été admirables, l’orchestre magnifique et la mise en scène, quoique relativement moderne, n’avait rien de provocateur et offrait beaucoup de sens. Une réussite totale, donc, qui m’a enthousiasmé.
Les soirées les plus mémorables (brillantes ou calamiteuses) auxquelles vous ayez assisté, au Capitole ou à la Halle aux grains ?
Outre La Femme sans ombre, dont nous avons déjà parlé, le Tristan und Isolde donné au théâtre du Capitole en 2007, qui mettait en vedettes Janice Baird et Alan Woodrow sur une mise en scène de Nicolas Joël. Je repense aussi à un magnifique Tristan montpelliérain où le duo du deuxième acte se déroulait sans décor, dans une obscurité presque totale que venait percer une lumière bleue, projetée sur le couple qui évoluait sur un petit podium carré montant lentement vers le ciel. C’était un spectacle féérique, magnifiquement chanté, et très émouvant. Les calamiteuses, j’ai préféré les oublier !
Janice Baird
La première de Turandot au Capitole, en juin dernier, s’est soldée par une splendide bronca, adressée à l’encontre de Calixto Bieito. Quel jugement personnel avez-vous porté sur cette production ? Plus largement, quid du problème des mises en scène contemporaines, fustigées par une grande partie du public « traditionnel » ?
Je crois qu’il faut se garder des jugements trop généraux. La production lyonnaise – signée Olivier Py – que je viens d’évoquer m’a donné entière satisfaction, alors qu’elle répondait aux canons des mises en scène d’aujourd’hui. Je ne cultive donc aucun préjugé a priori. Seulement, à titre personnel, je vais à l’opéra pour profiter des voix que l’on m’offre à entendre. Et je tiens à ce que le metteur en scène de l’ouvrage ne m’en empêche pas. Il me semble que c’est là le minimum que l’on peut exiger en tant qu’auditeur. Une production me dérange dès lors qu’elle est gratuitement provocatrice. C’était le cas, me semble-t-il, de la Turandot en question. Les excès qu’elle comportait n’avaient d’autre but que d’attirer l’attention sur celui qui les avaient imaginés, quitte à essuyer des critiques négatives – je me demande même s’il ne les a pas provoquées intentionnellement pour en tirer un surcroît de jouissance… Le résultat final ne rend service ni à l’œuvre ni au public. Cela dit, j’admets tout à fait que l’on me porte la contradiction à ce sujet : mon épouse a beaucoup aimé cette production, et lui a trouvé un véritable sens. Je dois dire qu’elle n’a pas pu me faire changer d’avis… Pour ceux qui souhaiteraient approfondir la question, je conseille la lecture de La malscène, petit livre de Philippe Beaussant qui apporte un jugement éclairé sur le problème qui nous préoccupe.
Quel regard portez-vous sur le passage de Frédéric Chambert à la tête du Capitole ?
Un regard mitigé. Il a eu le mérite d’ouvrir le théâtre du Capitole à de nouveaux répertoires, notamment à l’opéra baroque – qui occupe désormais une place dans chaque programmation annuelle – et à la création contemporaine. Sur le plan des regrets, je trouve que les productions plus « classiques » dont il a pris la responsabilité ont manqué un peu d’audace et d’ambition. Il me semble que les plateaux proposés sont très en retrait par rapport à l’époque Nicolas Joël, même si la situation s’est améliorée ces deux dernières années. Quand je compare les programmes respectifs des opéras de Toulouse et de Lyon, la balance, aujourd’hui, ne me paraît pas pencher en faveur du Capitole…
Comment jugez-vous l’action de son prédécesseur ?
Nicolas Joël a porté Toulouse à un rang international par la qualité de ses distributions vocales. Même si le répertoire qu’il a mis en scène était relativement restreint, nous lui devons un Ring complet, une Femme sans ombre inédite et plusieurs opéras jamais – ou très rarement – donnés au Capitole. A titre personnel, j’ai apprécié toutes les productions qu’il a organisées. Nicolas Joël n’était pas un metteur en scène révolutionnaire, mais il avait le grand mérite d’éviter les provocations superflues dont nous avons parlé. Étant également directeur, il avait compris que son rôle n’était pas de vider l’établissement en faisant fuir les gens, mais au contraire de le remplir. Les mises en scène qu’il imaginait étaient pleines d’idées sympathiques et de références culturelles bienvenues. Je garde un excellent souvenir, par exemple, de son Don Carlos. Nicolas Joël a beaucoup fait pour la renommée du Capitole, et doit en être remercié aujourd’hui.
Dans une perspective plus large, comment voyez-vous l’évolution de l’art lyrique au cours de ces dernières décennies ?
Vaste programme ! J’ai pu constater à Toulouse et à Lyon que l’opéra obtenait un succès grandissant dans les rangs de la jeunesse. Je me réjouis de cette évolution, que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs pays étrangers – en Russie, notamment. L’art lyrique a donc encore un public devant lui. Personnellement, je regrette un peu que les opéras contemporains ne soient pas plus souvent exportés hors de leur lieu de création. Beaucoup d’ouvrages nouveaux mériteraient d’être reconnus à l’international, et il faudrait œuvrer à ce qu’il en soit ainsi dans les années à venir.
Les interprètes d’aujourd’hui vous procurent-ils la même satisfaction que ceux d’hier ?
Je dois dire que le passéisme qui règne quelquefois dans le monde des amateurs d’opéra m’agace plus qu’autre chose. Je suis un inconditionnel de Kirsten Flagstad ou de Lauritz Melchior, qui n’ont pas d’égaux à l’heure actuelle, mais la scène lyrique du XXIe siècle est pleine d’artistes de grande valeur. J’ai dit précédemment l’émotion que je ressentais à l’écoute de la voix de Janice Baird et d’autres chanteurs du même tonneau. Les interprètes d’aujourd’hui ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que ceux d’hier. Il faut se souvenir que l’esthétique de notre époque n’a rien à voir avec celle qui régnait au début du XXe siècle. Alors que les petites voix blanches étaient plébiscitées chez les sopranos de cette période, on tend maintenant à préférer les timbres un peu plus ronds et corsés. Cela ne veut pas dire que les unes sont supérieures aux autres. De plus, la comparaison avec le passé se fait par le biais des enregistrements, qui offrent un son bien différent de celui qui est émis en direct sur une scène lyrique – surtout lorsque l’on a affaire à une piste très ancienne. Il faut donc relativiser tout cela, et profiter de ce que nous offrent les temps présents.
Quel regard portez-vous sur l’idée de faire passer l’opéra dans les salles obscures ?
Personnellement je n’y vais pas, car je tiens à éviter l’effet « boite de conserve » dont nous avons parlé tout à l’heure. Cela dit, je commence à penser qu’il me faudrait tenter l’expérience, car les retransmissions comportent également, si j’ai bien compris, des entretiens avec les chanteurs, les metteurs en scène et les chefs d’orchestre qui se révèlent toujours intéressants. Il me semble que les places restent un peu chères pour ce qui n’est tout de même pas une vraie représentation en salle. Mais je pense que l’idée est bonne, en particulier pour les gens qui ne connaissent pas l’opéra et qui craignent de s’y frotter.
Venons-en à l’orchestre du Capitole. Comment pourriez-vous le qualifier, en termes de couleur et de niveau instrumental ?
Il fait maintenant partie des grands orchestres européens. Sa couleur a un peu changé ces dernières années. Très « française » sous Michel Plasson – qui a énormément joué et enregistré le répertoire national -, elle est devenue plus « russe » sous l’impulsion de Tugan Sokhiev. La phalange s’est mondialisée, et les instrumentistes sont désormais à même d’interpréter avec excellence un répertoire très varié. On ne peut que s’en féliciter.
La récente prolongation du contrat de Tugan Sokhiev, lié à l’orchestre du Capitole jusqu’en 2019, a suscité l’enthousiasme des mélomanes toulousains. Quel regard portez-vous sur cette « Sokhievmania » locale, qui ne cesse de progresser depuis maintenant dix ans ?
Lorsqu’on voit Tugan Sokhiev diriger son orchestre, on remarque immédiatement sa « présence » et son aura. J’ai toujours plaisir à l’entendre diriger et je me réjouis de sa prolongation, même si je pense qu’il ne restera plus très longtemps parmi nous, sa carrière l’appelant à la tête de formations plus prestigieuses. Il aura, de toute façon, apporté beaucoup à Toulouse et à l’orchestre du Capitole, c’est certain.
Tugan Sokhiev
Quelles sont, parmi les autres manifestations classiques locales, celles que vous conseilleriez d’emblée ?
Il y en a tellement… Sans doute le festival Toulouse Les Orgues – qui permet de dépoussiérer un peu les idées préconçues que l’on peut avoir sur cet instrument -, et le week-end Passe ton Bach d’abord, qui amène la musique classique vers des lieux où elle n’a pas sa place ordinairement. Je citerai aussi les concerts organisés à St Pierre des Cuisines par le Conservatoire avec ses élèves. Les Toulousains y sont sans doute moins habitués qu’aux autres manifestations classiques et lyriques locales. Mais ces spectacles, basés sur une programmation très originale, se révèlent d’excellente qualité. Je les apprécie énormément, et j’invite tous les amateurs qui ne les connaîtraient pas à venir les découvrir au plus tôt.
Propos recueillis par Alexandre Parant.
N.B : Retrouvez Claude Dubois et L’oreille à la page chaque mardi de 10 h à 11 h sur Radio Mon Païs (90.1 FM)