Reprise à la Cave Poésie de « Cri & Co », spectacle dadaïste créé au Théâtre du Grand Rond par En Compagnie des Barbares, d’après le recueil « Cri & Co » de Christophe Macquet.
Comment de la poésie faire spectacle ? Comment donner vie à des mots couchés sur des pages ? Comment les libérer ? Comment incarner la poésie expérimentale de Christophe Macquet, jeune poète et voyageur, dont le recueil « Cri & Co » sert de source au spectacle du même nom imaginé en 2013, au Théâtre du Grand-Rond, par la troupe En Compagnie des Barbares ? Par un voyage poétique dont les guides sont deux clowns : Karine Monneau et Denis Lagrâce ! Un voyage cocasse à travers la poésie classique, contemporaine, sonore, dadaïste, surréaliste, où corps et organe vocal sont fortement engagés.
Deux grandes machines sculpturales composées de tasseaux de bois occupent tout le plateau du rez-de-chaussée de la Cave Poésie, comme issues de l’imaginaire de Marcel Duchamp ou plus proche de nous, de Jean Tinguely. En bord de scène : un rempart de livres évoquant une mini muraille de Chine et cachant en ses nombreuses couches de petits instruments aux sonorités asiatiques. Autant d’invitations à entrer dans l’univers d’un auteur qui – comme la metteuse en scène Sarah Freynet – a vécu en Asie et en a puisé des poésies sonores dont cet étrange « Voyaj’ en toc » que l’on entend sur scène.
À la manière du Cabaret Voltaire d’Hugo Ball, créé à Zürich en riposte à l’absurdité de la Première Guerre mondiale, les deux comédiens vêtus de costumes improbables et hétéroclites mettent en branle un chantier foutraque, tout aussi hétéroclite. Repartir de zéro, faire table rase du passé, dépoussiérer les vieilleries, tels étaient les mots d’ordre du mouvement Dada : «Je ne veux pas des mots inventés par quelqu’un d’autre», déclare le manifeste d’Hugo Ball en 1916 – l’un des sept manifestes dadaïstes. La langue très novatrice de Christophe Macquet, déstructurée, rythmée, musicale, jouant sur les «e» et les «œu», ou encore sur la prononciation appuyée des «s» habituellement muets, explose de toute son insolence et loufoquerie dans cet esthétisme surréaliste.
Ses poèmes, ponctués du mot «cocotier» et de ses multiples consonances, font le miel des très inspirés et complémentaires Denis Lagrâce et Karine Monneau qui se glissent aisément dans divers registres de jeux. Leurs partitions gestuelles et vocales s’enchaînent sur un rythme effréné, dans une mise en scène en forme de cadavres exquis, collages, superpositions et associations d’idées. On assiste ici à un accouchement poétique : là des pages de livres et de journaux arrachées et lues au hasard donnent naissance à des poèmes façon Tristan Tzara, ou bien encore le « Comment te dire adieu » de Françoise Hardy devient une hilarante démonstration en chanson des allitérations en «x».
Ça chante, ça danse, ça hurle dans un entonnoir quand on ne se le met pas sur la tête, et même ça dynamite la salle à coups de jets de livres déchirés, déchiquetés – livres distribués aux spectateurs avant le spectacle par Sarah Freynet – dans une libération des mots collective et exutoire. À défaut de ne pouvoir être provocateur et subversif comme le mouvement Dada à son époque, le « Cri & Co » des Barbares est un spectacle vivant et débridé qui désacralise joyeusement le rapport à la poésie. Ce grand délire participatif visuel et sonore est un fort bel hommage aux inventeurs d’un autre monde emmené par deux poètes de la scène, très investis.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
« Cri & Co », jusqu’au samedi 26 mars, 20h45, à la Cave Poésie – René Gouzenne,
71, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 61 23 62 00.