La Salle Nougaro connaît l’affluence des grands soirs (celle qu’elle connaît, et devrait connaître, de plus en plus souvent), dans cette ambiance conviviale qui fait chaud au cœur. Tandis que certains se restaurent au bar, dans le hall, les jeunes violoncellistes de l’Ecole Music Halle, de la classe d’Eugènie Ursch (1), nous offrent en « apéritif » des belles reprises de « tubes » des Beatles où l’on retrouve la « patte » de leur génial arrangeur, Sir Georges Martin. Vincent Segal saluera cette heureuse initiative et la fougue des jeunes interprètes.
Les 399 places sans exception sont occupées, tandis qu’une lumière bleutée nimbe sur scène deux chaises, un amplificateur de retour et un escabeau : aujourd’hui, pas de sonorisation imposante pour accueillir Ballaké Sissoko et Vincent Segal, mais l’intimité d’un « salon de musique » (leur premier album se nommait « Chamber Music »). Le Malien à la kora (2), le Français au violoncelle.
Et c’est bien de la musique de chambre qu’ils nous offrent, mais métissée entre Europe et Afrique. L’on ne s’étonne pas de savoir que c’est sur un toit de Bamako qu’ils ont imaginé leur deuxième album, « Musique de nuit ». Mais c’est aussi une belle histoire comme l’on aimerait en connaître davantage en ces temps de guerres de religions entre continents : une histoire qui chante la beauté de l’amitié et de la musique.
Vincent Segal, un pur produit de notre enseignement musical, des classes primaires au Conservatoire de Reims et de Lyon, avec Premier Prix, pourrait être un des fleurons de nos Orchestres symphoniques. Mais cet homme-là est d’un éclectisme rare et ses multiples expériences aux quatre coins du monde avec des musiciens de tous horizons (classique, mais aussi jazz, rock, ethnique…) donnent le tournis. Il a beaucoup bourlingué mais semble avoir trouvé une certaine quiétude, à l’approche de la cinquantaine, loin du tohu-bohu du monde moderne, loin des horreurs du monde en proie au terrorisme, dans ce duo avec le musicien mandingue rencontré lors d’un Festival à Amiens, il y a une dizaine d’années. Depuis, il fait de plus en plus souvent le voyage pour Bamako, la capitale du Mali, où l’accueille ce maitre de la kora et sa famille: « C’est tranquille ici : on boit le thé, on reçoit les visiteurs, ou on fait de la musique, juste pour le plaisir de jouer ensemble. ». Les voisins, de nombreux artisans, les écoutent avec plaisir avant de s’endormir du sommeil des justes.
L’épouse du Malien, la grande Babani Koné, même est venu chanter en bambara (3) sur le disque, le morceau Diaboro, un chant ancestral de bénédiction des bienfaiteurs, où ses intonations font parfois penser aux grandes Dames du Fado ou du Flamenco.
Sébastien Rieussec pour Télérama
Pour le reste, ils ont enregistré seuls, de nuit de préférence: la plupart des compositions venant de la grande tradition musicale dont Sissoko est l’héritier, mais arrangés par les deux musiciens qui prennent un plaisir non dissimulé à improviser de concert. Balazando évoque les belles terres du Mali, le vent du désert et les mélodies ancestrales: Segal y trouve des sonorités étonnantes sur son violoncelle ; et l’on entend même les moutons dans la cour du maitre de maison. Le long (mais on ne s’en lasse pas, au contraire) N’kapalema déploie de majestueux motifs rythmiques, dans un dialogue virtuose qui unit les instruments au point qu’on a l’impression par moments qu’ils ne font qu’un !
« Enregistrer sans murs ni plafond donne des ailes ».
Ségal, qui utilise son violoncelle comme un bluesman en picorant les cordes ou les frottant, apporte aussi des compositions personnelles, comme Passa Quatro, composé lors d’une tournée en Amérique du Sud, au Brésil, dans un village du Minas Gerais, para la familia Ivan Vileta.
Ils ont privilégié la respiration, la poésie, le partage ; et je ne peux m’empêcher de penser aux dialogues du trompettiste Don Cherry avec Colin Walcot et Nana Vasconcelos, dans le magnifique Codona, à la fin des années soixante dix.
De la tapisserie musicale !
Ces conversations instrumentales tissées à quatre mains ont été jouées partout dans le monde, dans les plus grandes salles et les plus grands festivals, mais l’on a toujours l’impression, comme ce soir, qu’elles sont juste pour nous, sur le toit d’un quartier de Bamako.
Ville aux fières allures
Ville de toutes les cultures
Bambara de Sikasso
Malinkés de Tombouctou
Peuhles et Sonraï
Tamachek de Tessalit
Tu m’éblouis par ta diversité…
Chère ville africaine
Amoureuse de sa tradition
Du legs de ses ancêtres
Parlant avec l’au-delà
Et croyant aux pouvoirs des esprits !
(Zita Frank)
Loin de la folie du monde où il faudra bien, hélas, revenir, mais l’instant d’un concert de musique de chambre, dans le Salon de Musique de la Salle Nougaro, nous avons fait une pause grâce à l’indestructible pouvoir du moderato et de l’harmonie que peuvent toujours distiller la Musique du cœur et l’Amitié.
Et ces deux maitres à rêver ont versé dans nos oreilles leurs poussières de rêves, comme ces lutins communs à de nombreuses cultures qui viennent endormir les enfants, selon toutes les Mamans du monde.
Comme dans cette berceuse bantoue de mon regretté ami Francis Bébey :
Dors, enfant, dors, afin que je puisse aller voir ma sœur,
Dors, enfant, dors, afin que je puisse retourner chez ma mère…
E.Fabre-Maigné
10-II-2016
Pour en savoir plus :
(1) Eugénie Ursch, elle-même élève de l’excellent Vincent Pouchet de l’Orchestre du Capitole, a ajouté à son arc plusieurs cordes vocales bien timbrées, une maitrise des effets électroniques et un imaginaire colorée. pakitadelsol@gmail.com
(2) Kora : La kora est une harpe-luth d’Afrique de l’Ouest au son délicat et profond. www.jacquesburtin.com/koraFr.htm
(3) Les Bambaras (Bambara ou bamanan; pluriel, Bamananw, Bamana ou Banmana) sont un peuple mandingue de l’Afrique de l’Ouest sahélienne… https://fr.wikipedia.org/wiki/Bambaras
(4) Musique de nuit édité par Nof No Format www.noformat.net/
dont voici un extrait sur YouTube pour vous mettre l’eau à la bouche :