La splendeur d’un des plus grands quatuors du monde : Les Hagen
Le Quatuor Hagen est une institution familiale qui fait le bonheur du public depuis près de 30 ans. Le remplacement de l‘Alto (Iris remplaçant Veronika) ne pourra être soupçonné par personne tant l’entente entre tous est évidente. Quelle audace a été la leur : A 16h30 un dimanche dans un après midi gris et froid, commencer leur concert par le testament lugubre de Chostakovitvh ! Son 15 ème Quatuor est inouï de mélancolie constante que rien ne vient soulager. La mort est là présente partout et la fin dans un murmure est sinistre. Comment aborder un tel monument de l’intime ? Le Quatuor Hagen s’est comporté en musiciens et en chambristes accomplis. Tout a été en fine écoute, battement de cils de connivence, recherche de sonorités incroyablement morbides, de nuances infra perceptibles. Pas de vibrato pendant de longs moments avant que l‘alto n’ose un peu, mais à peine de chaleur. La brutalité des sons filés terminés en cris est le seul moment pouvant être assimilé à une révolte. Les formules courtes et heurtées évoquent le disloquement de la vie.
Plus forte que la mort : la vie !
A l’écoute même la pensée se fige et l’immobilité de la mort gagne insidieusement tout l’être du spectateur. Une musique métaphysique, à la limite de ce qui est supportable dans un concert classique. Plus d’une demi heure d’un Adagio oscillant entre élégie, lamento, marche funèbre, nuit sombre. Le public a été estomaqué par la sureté technique du Quatuor, son incroyable puissance de conviction dans son choix interprétatif. Gare à ceux que les fins de dimanches dépriment ….
Après un entracte indispensable, les artistes se sont lancé avec frénésie dans le dernier Quatuor de Schubert. Autre temps autres mœurs. Schubert a eu une vie semée de difficultés, la maladie ne l’a pas non plus épargné mais son attitude face à sa fin annoncée est opposée à la langueur morbide et plaintive de Chostakovitch. Ce Quatuor est plein de vie au sens d’un combat, de reviviscence de souvenirs heureux. Nuances fortes assumées, couleurs généreuses et chaudes. Vibrato appuyé. Le contraste, l’opposition même avec la première partie du concert sont salvateurs. Non que la présence de la mort, de la douleur ou la mélancolie soit oubliée, bien au contraire, mais en dialogue avec la pulsion de vie. Les flamboyants interprètes ont osé s’engager avec puissance et joie de faire une musique si incarnée. Ils peuvent tout oser, se comprenant au moindre regard. La musique de chambre est affaire de famille où chacun sait pourvoir compter sur l’autre à tout moment.
Pour terminer cette extraordinaire Biennale du quatuor à cordes ou tant de magnifiques musiciens sont venus devant un très large public, les Hagen ont été parfaits. Un programme audacieux affrontant la fin de choses. La vie ne vaut qu‘ à condition d’accepter la mort. Elle est certaine mais son heure ne l’est pas, raison de plus pour jouir de la vie. Avec des concerts de cette qualité, c’est facile.
Compte-rendu, concert. Paris, Philharmonie. Biennale de quatuors à cordes. Grande salle philharmonie 2, le 24 janvier 2016 ; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor à cordes n°15 en mi bémol mineur op.144 ; Frantz Schubert (1797-1828): Quatuor à cordes en sol majeur D.887 ( op.161); Quatuor HAGEN : Lukas Hagen et Rainer Schmidt, violons ; Iris Hagen, alto ; Clemens Hagen, violoncelle.