Voilà un concert qui fera date. Merci aux Grands Interprètes! D’abord la découverte de la sonorité soyeuse d’un orchestre de cordes des plus rares. Fondé par Gidon Kremer il y a 15 ans, cet orchestre de chambre (Kremerata Baltica) fait le tour du monde : 1000 concerts en 15 ans! Félix Mendelssohn juvénile (à peine 16 ans) et brillant est magnifié par l’énergie et la beauté sonore de ces cordes. Un pur bonheur de texture, rondeur et délicatesse. Sans chef et avec une complicité de chaque instant chacun est engagé comme rarement. Après cette perfection instrumentale et cette beauté qui crée l‘émotion la plus pure, la deuxième oeuvre au programme en a saisi plus d’un. La suite de pièces des Saisons de Tchaikovsky qui sous les doigts récents du pianiste Lang Lang avait semblé sans émotions a ce soir, rendu perceptible ce qu’est l’humour le plus brillant en musique. Alexander Raskatov est un compositeur Russe incroyablement doué, aussi sérieux qu’iconoclaste. Il se permet d’utiliser le composteur Russe le plus connu, Tchaikovski, pour faire de sa suite des Saisons, une peinture humoristique digne de Charlie Hebdo. Avec une grande culture, le sens des phrases musicales est détourné, inversé, voir bafoué… et les Saisons deviennent un moment de fou rire tant pour les musiciens , qui se saisissent de percussions ou de minuscule trompettes, que pour le public. Moment de jubilation réalisé avec une perfection instrumentale sidérante. Le piano préparé, les appeaux, tout est musique et fait mouche.
Après un court entracte, la transcription des images d‘Orient de Schumann par Friedrich Hermann est très réussie avec une complémentarité réjouissante entre le quatuor à cordes par moments et tout l’orchestre. Notons que la beauté des couleurs, la tenue rythmique impeccable et les nuances très abouties évitent toute monotonie à ce superbe orchestre de cordes.
Beethoven : la fée Martha
Pour la dernière partie du concert, Martha Argerich fait son entrée avec modestie. Très rapidement sa démarche qui a pu paraitre hésitante, se raffermit à la vue des musiciens de l’orchestre et lorsqu’elle prend place au milieu d‘eux, il est aisé de deviner qu’elle est tout à son aise. Sa chevelure est d’argent, son sourire de velours. On dit que ce Deuxième Concerto de Beethoven est son préféré : nous le croyons! Lorsqu’elle écoute avec gourmandise la longue entrés de l’orchestre, il est clair qu’elle hume un parfum qui l’enchante. Il faut dire que les cuivres et vents qui ont rejoint les cordes font merveille, en couleurs, nuances, présence chaleureuse.
La manière dont Martha Argerich se jette à son tour dans la musique tient de l’émotion impatiente d’une enfant sage qui a longtemps attendu son plus grand plaisir. Il m’est impossible ensuite de décrire sagement cette interprétation tout à fait unique. Car ce qui se dégage de ces minutes pour l’éternité est un partage de joie à faire de la musique au sommet. Martha Argerich a des doigts de fées qui savent se faire oublier. Comme il est cruel pour tous les pianiste qui se croient sérieux quand cette dame faite musique fait oublier totalement son instrument. C’est de la pure musique qui émane de sa personnalité mystérieuse et proche à la fois. La délicatesse du toucher est mozartienne et l’énergie, insatiable. Le délicat rubato donne vie à chaque phrase. La manière de se glisser dans l’orchestre ou de donner l’impression qu’il sort de ses fins de phrases est de la pure magie. Les notes de perles légères sont d’une pureté immaculée. L’Andante est un moment de partage accompli entre Martha et tous les musiciens. Même les abominables tousseurs du public ont su se taire, c’est dire! Le final caracole et vole à tire d‘ailes dans une joie sans limites. Toute notion de virtuosité s’évanouit : la Musique, c’est facile : c’est comme Martha respire.
Le bis permet de retrouver Martha Argerich seule et heureuse de jouer du Scarlatti avec des notes répétées comme une folie douce. Un pur bonheur. Mais la grande générosité des musiciens a été de nous donner en bis tout le dernier mouvement du Concerto. Introduite par Martha Argerich dans un tempo jubilatoire, c’est une véritable explosion de bonheur musical auquel nous assistons. Un feu d’artifice irradiant!
Un très grand concert ce soir avec d’immenses musiciens, et Martha, impératrice magique pour une musicalité absolue.
Compte Rendu Concert. Toulouse.Halle-aux-Grains, le 18 janvier 2016; Félix Mendelssohn (1809-1847): Symphonie pour cordes en ré mineur n°7 ; Piotr Illitch Tchaikovski ( 1840-1893)/ Alexander Raskastov ( né en 1953) : Les Saisons ; Robert Schumann (1810/1856) / Friedrich Hermann (1827-1907): Images d ‘Orient,Opus 66; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano n°2, en si bémol majeur,Opus 19 ; Martha Argerich, piano; Kremerata Baltica.
Chronique écrite pour classiquenews.com