Après le Chili de la petite fille d’Allende, c’est à un voyage dans les musiques d’Argentine que nous conviait l’ABC, avec le dernier film du grand Carlos Saura* (1). Et pour cette soirée du 31 décembre, c’était un excellent divertissement pour les sexagénaires comme moi. S’il emprunte son sous-titre, Zonda, au vent chaud et extrêmement sec, que l’on appelle là-bas le vent des fous, on se sent heureux et serein en sortant de la projection, avec en plus une émotion toute latine au coin des yeux.
Car le cinéaste nous entraine dans un tourbillon de musiques et de chorégraphies, mais aussi de couleurs, qui font du bien autant à nos oreilles qu’à nos yeux. On connaît son talent pour capter le spectacle vivant, que ce soit le Flamenco ou l’Opéra. Là, il se surpasse pour nous faire partager son amour des musiques de ce grand pays.
Saura a réuni sur la scène d’un théâtre un grand nombre de musiciens faisant vivre les traditions de chants et danses populaires d’Argentine, et nous apporte celles-ci sur un plateau, de théâtre justement. Différents rythmes entraînants, Zamba, Chacacera, Diablada, Baguala, Baleicito etc. sont mélangés et représentent les influences diverses qui les modèlent, celles de l’Espagne ou de l’Italie, et surtout celle des Amérindiens. Mais d’autres vibrations sont plus modernes, tango ou jazz. Les thèmes sont simples mais riches en émotions : la nature, le soleil, la terre, l’amour, le peuple argentin… Pas de dialogue, si ce n’est les chants, rien que la musique, les voix, les corps qui dansent…
Ce n’est pas dans un documentaire géographique que nous entraine le cinéaste, mais bien dans une représentation de ses coups de cœur musicaux, dans un espace théâtral, réaménagé suivant les morceaux avec scènes amovibles sous les faisceaux des projecteurs; de grands miroirs recouvrent les murs comme dans une véritable salle de danse, d’autres petits miroirs ont été installés pour simuler une salle de maquillage. Et toutes les scènes semblent se passer dans un même endroit, sur une même scène.
Si les décors semblent minimalistes, ils sont basés sur des jeux d’ombres et de lumières travaillés en répétitions, sur l’utilisation des reflets et même des ombres chinoises, sur une symphonie de couleurs, comme les costumes classiques : noir, rouge, jaune, bleu…
Enfin, le réalisateur a demandé à des danseurs de créer des chorégraphies sur chacune des musiques qui prennent une autre dimension grâce à la danse, en solo, en duo ou en groupe, rendant les transitions tellement fluides que les univers s’enchainent sans temps mort.
Une fois de plus, l’œuvre de Carlos Saura se rapproche davantage du théâtre que du cinéma.
Devant le cinéma à la sortie, quelques personnes sans doute très avancées dans l’art de la danse se gaussent de ces danseuses « trop lentes et trop hiératiques », en oubliant que c’est justement une des caractéristiques de cette culture : personnellement, je les trouve profondément sensuelles, et je ne peux m’empêcher de penser à fresques de la Grèce antique où évoluent des jeunes filles en robes multicolores ou même à ces danses nuptiales des grues du Japon sous l’objectif de Teiji Saga.
Mercedes Sosa
Je n’oublie pas les émouvants hommages à Mercedes Sosa, parce que, si métisse était Mercedes Sosa (2), métisse était sa musique, comme celle de son pays : Todo Cambia, Tout change, projeté devant une classe de jeunes enfants tous habillés de blanc, frappant dans leurs mains et fredonnant avec la chanteuse à divers âges de sa vie. Cette place particulière réservée aux enfants du pays par le réalisateur en fait un symbole de la transmission et de la continuité d’un riche patrimoine empreint d’histoire et d’avenir.
Atahualpa Yupanqui
Et bien sûr à Atahualpa Yupanqui (3), chantre d’une poésie tellurique et populaire, dont le père était argentin de vieille souche, mais la mère d’origine basque, grand artiste – à la fois poète, compositeur, guitariste et chanteur – qui continue à faire résonner dans nos cœur un appel toujours vibrant à la liberté, à la justice et à l’espérance. Et la caméra zoome sur la photo du chanteur dans cette comptine bouleversante sur Dieu et la Justice sociale : Preguntitas sobre Dios », « Petites questions sur Dieu ».
L’Argentine, comme beaucoup de pays, a besoin de symboles : en voici quelques-uns, poétiques, libres, non violents, et optimistes.
Et ce film rend bien honneur au soleil du drapeau argentin dit Sol de Mayo.
Argentina est une œuvre cinématographique sobre, sans une once d’intellectualisme superflu, on en sort comme d’un spectacle envoutant, éblouis par tous les sens, enrichis de mille voix et cent murmures qui nous ont permis de traverser l’Argentine, d’une mer à l’autre, à vol d’oiseau.
Et l’on a envie de chanter avec Mercédès Sosa :
Gracia a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m’a tant donné
Me ha dado las risas
Elle m’a donné les rires
Y me ha dado el llanto
Et m’a donné les pleurs
El canto de todos que es el mismo canto
Le chant de tous qui est le même chant
El canto de todos que es mi propio canto
Le chant de tous qui est mon propre chant
¡Gracias a la vida !
¡Merci à la vie !
Je vous souhaite Feliz Año nuevo : salud, paz y belleza !
Elrik Fabre-Maigné
2-I-2016
Pour en savoir plus ;
(1) Carlos Saura, frère du peintre Antonio Saura, est l’un des cinéastes espagnols les plus connus dans le monde; et l’un des plus prolifiques.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Carlos_Saura/143349
(2) Mercédès Sosa:
http://www.mondomix.com/news/le-portrait-de-mercedes-sosa
(3) Athualpa Yupanqui:
http://www.musicologie.org/Biographies/y/yupanqui.html
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