Ce mardi, la salle affiche complet. Ce qui fait plus de 2200 amateurs, tout de même. Un événement rare dans ce type de concert et qui se doit donc d’être remarqué. C’est la même chose partout où cet encore jeune pianiste chinois se produit aux quatre coins du monde. Sa prestation sur scène justifie le déplacement car, si Cecilia Bartoli vous dit qu’elle chante avec son corps, Lang Lang pourrait vous dire : “je joue du piano avec mon corps“. Et le piano est bien son jouet, un “sacré“ jouet.
On relira mon article d’annonce du récital qui présente l’artiste, et quelques éléments de sa biographie qui éclairent grandement le personnage tel qu’il se présente actuellement. Et qui explique cet irrésistible engouement.
On pourrait lui reprocher que le programme de son récital correspond à la sortie de son dernier CD, mais la manœuvre n’a rien d’original. En tous les cas, il l’a conçu tel que et fort bien défendu. Au moins, nous donne-t-il à entendre, et voir !! une œuvre de Tchaïkovski, plutôt célèbre, mais faisant très rarement, dans son entier, l’ouverture d’un récital de piano, je veux parler du cycle des Saisons. Mais le garçon a du toupet, de l’audace, sait prendre des risques, et ça “marche“. Avec ces douze piécettes ou miniatures qui ne sont pas particulièrement démonstratives mais des scénettes avec chacune son charme indicible, il prouve qu’il sait faire autre chose qu’une prestation avec de la virtuosité à tous les étages et une gestuelle poussée à l’excès. Du grand piano. “Atmosphère, atmosphère“, d’entrée, on est sous le charme de janvier – Coin du feu, on le suit, enjoué, dans février – carnaval, ainsi va le cycle. Il sait doser son toucher, faire preuve de délicatesse, de sérénité, de majesté et d’autorité quand il le faut. On en oublie même les pédales. Pari gagné.
Quant au Concerto italien de Jean-Sébastien Bach qui suit, bien malin celui qui osera dire avoir remarqué une note de plus, ou de moins. Si l’on veut bien oublier le clavecin pour lequel l’œuvre a d’abord été écrite, on se laisse happer par cette exécution pleine de jubilation rythmique permanente. Toute la palette du toucher pianistique est bien mise au service du compositeur avec cette retenue dans l’usage des nuances conservant à ce concerto toute son essence polyphonique. Il suffisait de fermer les yeux, et Bach était bien là.
Chopin et ses Scherzi étaient au rendez-vous pour la seconde partie. Si technique et virtuosité sont nécessaires, pas de problème, vous vous en doutez. Lyrisme survolté avec envols de main droite comme de main gauche hallucinants de perfection, pas un seul accroc, brio, et moments d’abandon sont bien présents. Lang Lang ne fait qu’une bouchée de ce monument pianistique. Etourdissant. Après, seuls les grands musicologues pourront donner leur avis plus explicites sur tel ou tel Scherzo, et les grands pianistes sur tel ou tel passage. Mais il n’est pas sûr qu’ils soient pour autant d’accord entre eux. Au bilan, seul compte le plaisir du moment pour chaque auditeur présent, qu’il soit au parterre ou dans les hauteurs. Et au diable, tel ou tel accelerando soi-disant trop appuyé, ou tel accent pas à sa place. Mais, on peut peut-être rêver qu’un jour, Lang Lang aura l’envie de jouer du Chopin sur un Pleyel 1848 par exemple, ou équivalent. Qui sait ?
Le public est ravi. L’artiste salue toutes les travées, l’une après l’autre. Et offrira trois bis ou “encore“ dont les titres vous seront donnés par le site de Grands Interprètes.
Michel Grialou