Cecilia Bartoli et l’ensemble I Barocchisti de Diego Fasolis sont très attendus à la Halle aux Grains, dans la saison des Grands Interprètes, pour donner un récital «De Venise à Saint-Pétersbourg» constitué d’airs d’opéras italiens du XVIIIe siècle, dont certains furent créés en Russie.
«On dit généralement que l’opéra russe a commencé en 1836 avec la création d’ »Une vie pour le tsar », de Glinka, mais on oublie qu’avant cela, trois tsarines puissantes, à la suite des transformations colossales du pays entreprises par Pierre le Grand, ont cherché à rapprocher leur empire de l’Europe des Lumières et ont invité des musiciens, des compositeurs et des chanteurs italiens»(1), expliquait Cecilia Bartoli à l’automne 2014, au moment de la sortie dans les bacs de son enregistrement « St Petersburg »(2). Anne Ière, Élisabeth Ière et Catherine II, «la Grande», ont succédé au XVIIIe siècle à Pierre Ier. Avec pour modèles l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas, puis la France, ce dernier avait entrepris de transformer la Russie – alors pays puissant mais archaïque et conservateur – en l’ouvrant aux influences extérieures pour le hisser au rang des puissances européennes.
À l’exception de quelques musiciens occidentaux autorisés à s’y produire, la vie musicale en Russie est inexistante lorsque Anna Ivanovna, nièce de Pierre le Grand, monte sur le trône en 1730. Ayant découvert la mode du théâtre italien à la cour du Roi de Pologne, elle engage à son service des interprètes d’opéra, d’opéra-comique et de ballet venus d’Italie. Une troupe italienne d’opéra s’installe donc à Saint-Pétersbourg, où un ouvrage sera chaque année à l’affiche. Cette troupe y représente en 1736, au Théâtre du Palais d’Hiver, le premier opéra produit en Russie : « la Forza dell’amore e dell’odio », de Francesco Araia – créé à Milan deux ans plus tôt.
Nicola Porpora n’ayant pas honoré l’invitation de la tsarine, Araia devient le compositeur de la cour. Il livrera par la suite des œuvres originales créées le 29 janvier de chaque année, jour de l’anniversaire d’Anna Ivanovna : « Il Finto Nino, overo La Semiramide riconosciuta » (1737), « Artaserse » (1738), ou encore « Seleuco » (1744), « Bellerofonte » (1750), et « Alessandro nell’Indie » (1755) avec le célèbre castrat Carestini. Au fil du temps, les chanteurs sont recrutés parmi les chœurs des églises orthodoxes, et au cours de ses dix années de règne, Anna Ivanovna aura fondé la première Académie de musique de son pays.
En 1742, une production moscovite de « la Clemenza di Tito », de Johann Hasse, est donnée lors du couronnement d’Élizabeth Ière – fille issue des secondes noces de Pierre le Grand. Musiciens au sein de la troupe Saint-pétersbourgeoise, Domenico Dall’Oglio et Luigi Madonis composent pour l’occasion un prologue à cet opéra. Aussi pieuse que mélomane, l’impératrice chante dans le chœur de sa chapelle privée et favorise tout autant la musique profane. Elle commande au poète Alexandre Soumarokov – l’un des fondateurs de la littérature moderne russe – le livret du premier opéra chanté en russe : « Tsefal i Prokris » est créé en 1755, sur une musique d’Araia, par de jeunes chanteurs de la Chapelle impériale.
Originaire de Stralsund et claveciniste au sein de l’orchestre de la cour, Hermann Friedrich Raupach compose « Altesta » en 1758. Écrit en russe par Soumarokov, le livret de cet opera seria s’inspire de la tragédie d’Alceste. À la suite du renvoi d’Araia, Raupach devient l’année suivante le compositeur de la cour. Vincenzo Manfredini lui succède en 1761, à la mort d’Élizabeth. Nommé par Pierre III, neveu et héritier de la tsarine, Manfredini avait été repéré au sein de la troupe d’opéra de Giovanni Battista Locatelli installée à Saint-Pétersbourg depuis 1757.
Épouse du tsar, Catherine II confisque le pouvoir à Pierre III et congédie Manfredini. Elle s’offre les services d’une célébrité européenne alors en poste à Saint-Marc de Venise : Baldassare Galuppi, dont les comédies en musique avaient voyagées jusqu’à la cour grâce aux représentations de la troupe de Locatelli. Le règne de la Grande Catherine est le cadre de l’éclosion de théâtres publics d’opéra dans plusieurs villes, mais aussi de théâtres privés appartenant à la noblesse. Elle signe quelques livrets en russe qui sont mis en musique par ses compositeurs italiens attitrés. Parmi ceux-ci, Domenico Cimarosa séjourne à la cour de 1787 à 1791, où il créé son opera seria « la Vergine del sole ». Au cours de son règne qui s’étend jusqu’en 1796, l’impératrice qui est moins mélomane que ses prédécesseurs se détourne peu à peu de la musique italienne au profit du théâtre français.
«Le problème, c’est que les compositeurs, lorsqu’ils quittaient la Russie, devaient laisser leur musique à la cour. Ce qui explique que leur musique ait été oubliée et que l’on ignore aujourd’hui encore qu’il y a eu du baroque russe. J’ai donc dû demander à Valery Gergiev l’autorisation de consulter les manuscrits qui sont conservés dans la bibliothèque du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg»(1), raconte Cecilia Bartoli. La mezzo-soprano romaine poursuit avec cet enregistrement son entreprise de redécouverte des répertoires enfouis et des compositeurs méconnus.
Affichant un périple au long cours de Venise à Saint-Pétersbourg, de Vivaldi à Hasse, ses récitals à la Halle aux Grains, dans la saison des Grands Interprètes, et à l’Opéra royal de Versailles s’annoncent comme de coutume riches en coloratures virtuoses autant qu’en lamentations déchirantes. Comme c’est le cas pour les plages du disque « St Petersburg », elle sera accompagnée sur scène par l’ensemble I Barocchisti dirigé par Diego Fasolis.
Jérôme Gac
Samedi 14 novembre, 20h00,
à la Halle aux Grains,
place Dupuy, Toulouse. Tél. : 05 61 21 09 00.
Mardi 31 mai, 20h00, à l’Opéra royal,
Château de Versailles,
place d’Armes, Versailles.
Tél. : 01 30 83 78 89.
(1) Libération, 12 octobre 2014
(2) Decca
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photo: C. Bartoli © Uli Weber
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