L’intégrale des quatorze films de Sam Peckinpah est à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse.
Durant les années cinquante, Sam Peckinpah est l’assistant du réalisateur Don Siegel. Il écrit et filme ensuite des épisodes de séries western pour la télévision, avant d’en produire. Il tourne en 1961 « New Mexico », premier long métrage s’inscrivant dans la stricte tradition du western américain. L’année suivante, son penchant pour la violence se dévoile dans « Coups de feu dans la Sierra » (photo), «western sur la mort de l’Ouest, de ses mythes et de ses héros. (…) Le ton élégiaque et les teintes automnales ne célèbrent pas seulement la fin d’une époque et celle d’un genre, mais aussi celle des traditions hollywoodiennes», notent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans « 50 ans de cinéma américain ».(1)
D’origine indienne, il affiche alors sans prendre parti une vision inhabituelle à l’écran des personnages Indiens, comme le confirme « Major Dundee », en 1964, avec Charlton Heston et James Coburn. «Jamais film américain ne peignit combat plus douteux, loser plus malchanceux», constatent Coursodon et Tavernier. Pour Jean-Louis Bory, « »Major Dundee » illustre le nouveau western où l’on ne se contente plus de représenter les lignes de forces dessinées par la seule action : est bien tout ce qui est pour, est mal tout ce qui est contre. Là où ne comptaient que la galopade et le coup de poing ou le coup de feu, le western intellectualisé à la Peckinpah introduit la complexité psychologique, le rapetissement par le détail humain, l’hésitation dans l’action par l’ambiguïté de la position morale. L’épopée risque la mort par asphyxie. Peckinpah détruit le contenu du western. Non le contenant. Et voilà en quoi consiste l’art de Peckinpah. Déjà avec « Coups de feu dans la Sierra », le western et ses deux composantes, mouvement et espace, résistent à la confusion humaine, trop humaine, entretenue par Peckinpah ; mieux, ils l’assimilent la digèrent. Les motifs de l’action se compliquent, mais l’action demeure : le galop, la bagarre».(2)
Le succès phénoménal que connaît « la Horde sauvage » en 1969 lui donne accès au grand public et à une médiatisation ouvrant la porte à la controverse. Selon Coursodon et Tavernier, « »La Horde sauvage » représente un premier aboutissement de l’œuvre, une synthèse de « Coups de feu dans la Sierra » et de « Major Dundee ». On y retrouve tous les thèmes de ces deux films : le pessimisme, le relativisme moral, le désenchantement taciturne de héros sans but, péniblement conscients de leur anachronisme au sein d’un monde en changement, la tentation suicidaire. La seule valeur positive à laquelle Peckinpah et ses personnages se raccrochent, c’est la camaraderie, ou plutôt l’esprit de corps, le sentiment d’appartenir à un groupe homogène, attaché à un certain code de conduite, même si ce code reste informulé et purement instinctif. Par ce biais, le cinéaste réintroduit les distinctions et oppositions morales traditionnelles du genre et désamorce dans une certaine mesure le nihilisme que le propos semblait afficher».(1)
C’est un déluge sanglant où des plans au ralenti infusent les scènes de violence : ce système de mise en scène deviendra la marque de fabrique de Peckinpah et sera largement reproduit par d’autres (John Woo, Quentin Tarantino, etc.). Il enchaîne avec « Un nommé Cable Hogue », western de commande et histoire d’amour regroupant tous les thèmes du cinéaste, mais sans action ni violence. En 1971, « les Chiens de paille » est l’adaptation d’un roman, un nouveau film de commande, avec Dustin Hoffman. «Une des principales caractéristiques stylistiques de Peckinpah, le montage éclaté, fragmenté à l’extrême, est à son apogée dans « les Chiens de paille ». Ce type de montage, qui peut passer pour de la virtuosité gratuite, exprime généralement chez Peckinpah soit le chaos matériel et moral, soit l’antagonisme des individus, leur aliénation les uns par rapport aux autres. Cette double fonction joue à fond dans « les Chiens de paille », film placé sous le signe du chaos et de l’aliénation, et dont le montage est certainement le plus haché de l’histoire du cinéma, avec un nombre de plans très supérieur à la moyenne des films américains contemporains».(1)
Enfonçant le clou de la mélancolie avec « Junior Bonner », Steve McQueen interprète un cow-boy de rodéos, égaré dans l’Amérique du début des seventies. Retrouvant aussitôt l’acteur avec pour partenaire Ali MacGraw, « Guet-apens » est le plus gros succès commercial du cinéaste. Peckinpah est alors la proie sacrifiée des producteurs avec lesquels il doit lutter pour défendre ses choix sur chacun des projets qui lui sont confiés. En 1973, réunissant James Coburn, Kris Kristofferson et Bob Dylan, « »Pat Garrett et Billy le Kid » fut restructuré, raccourci d’un bon quart d’heure. Il était évident, même à la vision de la version massacrée, que Peckinpah avait réalisé le plus poignant de ses westerns crépusculaires», note Jean-Luc Douin dans le quotidien Le Monde.(3)
L’année suivante, il s’attèle à la réalisation de son scénario « Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia », «dont l’invraisemblance cauchemardesque évoque plutôt les conventions et l’atmosphère du conte de fées – dans ce qu’il a de plus noir. (…) Mais ce qui rend le film passionnant, ce n’est pas tant cette référence à la tradition du conte que la tension, croissante tout au long du film, entre cette tradition et les préoccupations modernes du cinéaste. Contrairement à l’univers immuable du conte, où l’ordre établi n’est jamais mis en cause, le cinéma de Peckinpah est obsédé par le changement, la mort du passé. (…) L’hécatombe finale et le chaos général dans lequel se termine le film procède également de ce règlement de compte avec les mythes et les formes. « Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia » restera le sommet de la dernière période de Peckinpah»(1), assurent Coursodon et Tavernier.
Avec ses quatre derniers films, il aborde des genres encore jamais visités : le film d’arts martiaux, alors très en vogue, avec « Tueur d’élite » ; le film de guerre avec « Croix de fer », réunissant James Coburn et James Mason sur le front de l’Est durant le Seconde Guerre mondiale ; le road movie avec « le Convoi » qui met à l’affiche Kris Kristofferson, Ali MacGraw et Ernest Borgnine ; le film d’espionnage avec « Osterman week-end », en 1983, avec John Hurt, Dennis Hopper, Burt Lancaster. Mort en 1984 à la suite d’une crise cardiaque, à l’âge de 59 ans, Sam Peckinpah laisse quatorze films tournés entre deux époques : l’âge classique du cinéma de John Ford et celle du Nouvel Hollywood. L’intégrale de cette filmographie crépuculaire est à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse.
Jérôme Gac
Jusqu’au 29 octobre,
à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 11.
(1) Omnibus, 1995
(2) « Des yeux pour voir », Ramsay, 1991
(3) 14 juillet 2006
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