Dans une Russie où les lois « anti-propagandes » permettent les agressions et les humiliations des homosexuels en toute liberté, le film STAND interroge sur la signification de la notion de morale. Voici l’interview que le réalisateur Jonathan Taieb m’a accordée.
Si l’élément déclencheur de l’écriture de ce film a été les vidéos d’agressions d’homosexuels en Russie, quand avez-vous décidé la fin du film ?
C’est la première idée qui m’est venue à l’esprit en voulant faire un film sur ce sujet. Tout le film a été pensé dès l’écriture pour arriver à cette séquence finale, utiliser ces symboles et donner une résonance au titre du film et à ce combat.
On voit le personnage principal visionner les vidéos d’agressions, le spectateur ne les voit pas, mais les entend. Avez-vous hésité à montrer ces vidéos à l’écran ?
Oui ! À tous les stades, nous avons hésité, même au moment de faire la bande-annonce. Mais ces vidéos sont bien trop gênantes et j’étais trop mal à l’aise à l’idée d’utiliser ces vraies images, avec ces vraies victimes. Puis, c’était intéressant de laisser Anton avec quelques secrets et mystères. Ce qu’il voit dans cet écran lui appartient. De même que toute l’utilisation du hors-champs ou des ellipses du film.
Avez-vous hésité sur la nationalité du personnage principal ? Que le regard sur les lois de Poutine vienne d’un étranger qui se rendrait à Moscou ?
Personnellement, je n’ai jamais hésité. Il a souvent été question, effectivement, de faire un film à moitié en anglais et russe, avec un personnage principal américain qui serait jeté en Russie, mais c’était pour des raisons commerciales. Il était important de se raccrocher à une réalité de terrain et s’immerger dans cette culture, cette langue et cette région. Je ne regrette pas du tout mon choix.
Comment avez-vous eu l’idée de la voix-off ? Et de cette morale ?
L’idée était de faire un film sur le jugement, et le jugement de chacun est toujours subjectif, bien que prenant en compte la morale, qui est souvent celle des autres. Au moment d’améliorer le film, nous avions envisagé plusieurs possibilités et j’ai écrit cette voix-off très rapidement, et choisi ce narrateur. Nous avons fait un test et tout le film prenait la direction que nous souhaitions depuis le début.
Combien de temps a pris l’écriture du scénario ?
Deux mois sur Paris pour mettre en place l’histoire au travers d’un séquencier puis quelques jours sur place pour écrire le scénario !
Vous avez donc tourné en Ukraine cette histoire qui se passe à Moscou. Pourquoi l’Ukraine ? Cela fait-il partie intégrante d’un acte militant, – avec un coût de production, un tournage à risque -, ou par soucis de réalisme ?
Nous avons tourné à Kharkov, la deuxième grande ville d’Ukraine, elle se situe à 30 km de la frontière russe. La langue officielle de la ville est le russe, les devantures de boutiques sont russes et l’architecture de la ville ressemble à Moscou. Nous avons choisi cette ville parce que nous sommes partis du jour au lendemain et qu’on ne pouvait pas avoir les visas pour la Russie dans ce laps de temps. Et c’était effectivement moins risqué. Au moment où nous sommes partis, l’Ukraine était proche d’un accord avec l’UE. Finalement, la crise a commencé pendant notre tournage et le fait que l’Ukraine soit tiraillée entre l’UE et la Russie devenait un autre symbole intéressant pour le film. Le groupe fasciste Occupy Pedophilia qui agresse les homosexuels a sévi dans cette ville une semaine avant le début de notre tournage. Nous étions déjà sur place et dans la paranoïa, nous nous sommes demandé si les membres du groupe savaient que nous étions sur place pour tourner un film sur ce sujet…
Comment s’est fait le casting ? Le fait que vous filmiez des scènes dans une langue que vous ne parliez pas change-t-il la direction d’acteurs ?
Pour le choix des comédiens, après la première étape de casting, nous avons utilisé Skype pour les auditions. J’ai envoyé des chansons françaises aux acteurs, qu’ils devaient adapter en russe et jouer avec différentes intentions. Exemple: S.O.S. d’un terrien en détresse en annonçant à ta mère que tu as un cancer ou en annonçant à ton fils que son chat est mort. C’est très dur à intégrer et je savais que ceux qui réussiraient auraient une grande intelligence de jeu. Pour la direction d’acteur, c’est un mix entre travail, instinct et confiance. Alors la langue importe peu au final.
Comment s’est constituée l’équipe technique ?
Il n’y avait dans l’équipe que des amis. C’était essentiel pour assurer ce tournage dans ses conditions.
Quelles consignes avez-vous données à vous-même en tant que chef-opérateur et à l’ingénieur son ?
Yves Capus l’ingénieur du son est expérimenté et nous avions déjà travaillé ensemble sur mon premier film. J’avais confiance en lui et mis à part nos discussions pour définir les besoins techniques et artistiques du film, il n’avait pas de consignes particulières. Tout était évident avec lui. J’ai officié en tant que chef-opérateur alors je me suis donné beaucoup de consignes mais j’en ai pas forcément tenu compte !
Aviez des références à suivre ou à éviter en matière de cinéma militant ? Thriller ?
Je ne voulais surtout pas faire un film au premier degré « l’homophobie c’est mal ». C’est un sujet à prendre avec des pincettes mais je tenais à faire des choix marqués. J’avais beaucoup en tête Sur les quais d’Elia Kazan pendant l’écriture. Je n’ai pas voulu revoir le film mais travailler avec son souvenir en tête. Blow Out aussi est une référence pour moi (c’est l’un de mes films préférés), ainsi que le cinéma scandinave pour l’ambiance que ces films posent.
Un mot sur l’utilisation et le choix de la musique… ? Terrible ce choix dans la scène finale en forêt !
Il y a très peu de musique dans le film, même si elle prend beaucoup de place. La plupart des musiques sont diégétiques. Il y a aussi 3 musiques classiques dans le film. Fantaisie sur deux thèmes russes de Rimski-Korsakov qui accompagne le personnage du narrateur. Tchaïkovski (la symphonie pathétique) dont l’homosexualité est complètement occultée de sa biographie en Russie. Et la fin avec Wagner, pour tout ce que cela représente et l’émotion qu’il nous impose.
La part du film qui se décide au montage…
Je pense que le scénariste écrit avec sa tête, le réalisateur réalise avec son cœur et le monteur monte avec ses tripes. Et chaque étape doit surpasser celle d’avant. Il a fallu trouver beaucoup de solutions avec le tournage rapide car il nous manquait beaucoup d’éléments narratifs et nous avions raté pas mal de choses. Du coup, nous nous sommes posés pour presque réécrire le film au montage, avec les éléments qu’on avait réussi à avoir. J’ai toujours monté mes films et c’était super de pouvoir se reposer sur Anthony Robin qui a un regard particulier et très intéressant ainsi qu’une grande culture cinématographique. Il parle le russe couramment aussi (qu’il a appris sur le tournage en quelques semaines). Je n’ai décidé et écrit la voix-off qu’à ce moment là aussi.
Combien de temps a pris le montage ?
Nous avions un premier bout à bout au bout d’un mois seulement, après la fin du tournage ! Ensuite, Anthony Robin a travaillé sur la narration du film. Il s’est isolé avec la première version, les premiers retours que nous avions, la voix-off grossièrement enregistrée et les musiques. Nous avons aussi utilisé la post-production image et celle du son comme véritables éléments narratifs.
La scène la plus dure à tourner ? La scène dont vous êtes le plus fier ?
La scène la plus dure à tourner était la scène de sexe qui n’est finalement pas dans le film. Je suis fier de toute les scènes ! On a réussi à voler chaque seconde du film et elles ont toutes une raison différente d’être la scène dont je suis le plus fier.
Vous êtes réalisateur, producteur et distributeur du film. Avez-vous soumis votre projet à des producteurs, distributeurs, qui l’ont décliné, ou est-ce un choix très tôt de vouloir tout gérer ?
J’ai soumis le projet à toutes les étapes : avant de faire le film, après le tournage, après la fin du premier montage, une fois le film terminé… Le film est au final le pur produit d’une production indépendante faite dans l’urgence et il est compliqué pour des raisons administratives de rentrer dans un circuit commercial. De plus, un film sur l’homophobie en Russie en russe, sans têtes d’affiches ou réalisateurs reconnus est un produit commercialement difficile à placer pour les sociétés en place. Epicentre Films a acquis les droits vidéo en France et François Dupont, qui vient du milieu de la publicité, m’a proposé de distribuer le film sous sa responsabilité avec ma société Grizouille Films. Évidemment, il s’implique aussi financièrement avec sa société Heroes Production et son associé Olivier Herold. Nous avions déjà, avec Jean Adrien et Boris Baum sorti nos premiers films en salles en se heurtant à la réalité du marché et on se sert de cette expérience pour STAND.
Je ne gère donc pas tout tout seul, et pour répondre à votre question, la seule chose qui m’importe c’est de faire des films puis de les montrer, et je suis bien entouré pour ça.
STAND a fait plusieurs festivals internationaux. L’accueil varie-t-il selon le pays ?
Le curseur de l’espoir ou du désespoir varie selon le pays. Il y aussi certains pays comme le Canada qui ont accueilli le film avec plus de controverse, j’ai assisté à un débat ou un spectateur répondait à un autre, chacun restant sur ses positions, cela a failli mal finir ! Le film sort en VOD clandestinement le 24 Juin en Russie, Ukraine et Biélorussie et je me demande comment le film va être reçu là-bas.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai plusieurs projets en tête et je ne sais pas lequel sera mon prochain film. Il n’y a qu’un seul point commun, c’est que le rôle principal sera une jeune femme et qu’il s’agira d’un rôle fort.
STAND aura 3 projections à Toulouse, au Cinéma Le Cratère :
Jeudi 9 juillet à 20h30, en présence du réalisateur Jonathan Taieb
Samedi 11 juillet, à 17H00
Vendredi 17 juillet à 19h10