Le sujet : avant le mariage arrangé avec le chef de l’exploitation agricole où travaille sa famille, Maria tombe enceinte d’un employé qui quittera le pays. Jayro Bustamente réussit à faire côtoyer traditions et modernité, désirs et devoirs, en proposant cette fiction inspirée d’une histoire vraie, d’une tragédie bien réelle. Ixcanul est le nom du volcan au pied duquel vit une communauté maya isolée. « Ixcanul » a remporté hier le prix du public et le prix découverte de la critique à Cinélatino 2015, après avoir reçu l’Ours d’argent Alfred-Bauer à Berlin cette année aussi.
IXCANUL est projeté ce dimanche 29 mars, à la cinémathèque à 18h, précédé du prix Signis du court-métrage « JOÃO HELENO DOS BRITOS ».
Merci à Jayro Bustamante d’avoir répondu à mes questions.
Votre film est inspiré d’un fait réel, avez-vous hésité à en faire un documentaire ?
Non, jamais. Cette question est très récurrente, et elle m’étonne un peu car cela ne m’a jamais traversé l’esprit… mais je pense qu’il y a une explication. Ma mère m’a simplement dit « j’ai quelqu’un à te présenter », et c’est la vraie María qui m’a raconté l’histoire. Ce qui m’intéressait était de comprendre le processus qui mène à cette apothéose tragique. J’ai commencé à fictionner quasiment tout le film à partir d’un fait réel, et de l’histoire d’un pays que je connaissais bien. L’après ne m’intéressait pas, simplement parce que j’ai vu que pour María, il n’y avait pas d’après. Elle s’est construit une espèce de sagesse pour continuer à vivre, mais il y a eu vraiment en arrêt en elle, quelque chose est vraiment mort. Pour répondre à votre question, c’est impossible de documentaliser ce processus-là, car comme être humain, on laisse la caméra de côté et on vient l’aider. Je ne pouvais que faire une fiction.
Votre film est donc une fiction, mais vous dépeignez des côtés sombres du Guatemala : les conflits liés aux langues, la rudesse de la vie de ces habitants, les mariages arrangés, et cette apothéose… Le financement de ce film s’en est-il ressenti ?
Aucun financement de film n’est facile au Guatemala, et celui-là ne fait pas exception. Avant que la co-production avec la France se fasse, toutes nos dépenses ont été possibles grâce à un prêt personnel, d’une banque française d’ailleurs (rires). Evidemment, le gouvernement, les institutions auraient eu un regard davantage bienveillant si notre film montrait un Guatemala idyllique, mais c’est un pays qui n’est pas tendre, réellement. Il est très dur, très beau, humainement très riche, mais il faut avoir beaucoup beaucoup de force pour y vivre. C’est sincère, et c’est vrai pour toutes les couches sociales. Je dépeins la réalité des familles qui vivent isolées. Mes comédiens sont des Mayas, amis ils vivent dans une communauté où il y a l’école, la poste, l’hôpital, et ont fait fait un travail pour personnaliser leurs rôles. Ixcanul est une histoire vue par le filtre du réalisateur. Ce n’est que ma vision d’une famille qui vit isolée dans une région donnée. Je vois bien que vous, vous l’avez compris mais les journalistes du Guatemala sont très inquiets de l’image que je vais donner du pays. Je leur explique que je ne parle pas du pays, dans sa totalité, comme je ne suis pas le représentant du Guatemala. Ma propre vision est passée par plein de filtres que je ne connais pas moi-même, mais dans ces filtres, il y a une réalité, qui a été partagée par tous les comédiens : je n’aurais jamais tourné une scène qu’ils n’auraient pas validée. On a fait un très beau travail avec eux, au delà que celui que vous voyez à l’écran. María Mercedes, qui joue le personnage principal, a déclaré à Berlin : « en lisant cette histoire, j’avais la responsabilité de la raconter », alors qu’elle avait lu une version plus crue du scénario. J’avais fait un grand travail avec les femmes Mayas, avec des ateliers de théâtre afin qu’elles puissent parler de leur vie. Très vite, j’ai su qu’on allait aborder la discrimination, qui affecte le pays lui-même. Je voulais parler des problèmes que les femmes subissent. Je pensais que ce sujet serait très facilement compris par les femmes, mais je suis très agréablement surpris que les hommes aussi soient touchés.
Quand vous filmez le travail dans la plantation, la photo est magnifique, alors que pour les plans tournés sur le volcan, le grain de l’image est rugueux, comme pour les plans de la ville. Avez-vous changé la photographie ? Ou les conditions-mêmes du tournage sont-elles responsables de cette différence de rendu ?
La caméra était la même, on pouvait changer de focales, ou de filtres. Quand on était sur la partie terre noire du volcan, on a cherché la rudesse du volcan. On a nourri le grain de l’image avec la poussière qui était toujours présente. Même maintenant, les voitures de production ont encore des soucis à cause de la poussière qui s’y est infiltrée.
Quelle part du film se décide au montage ?
C’est très beau votre phrase… car je pense avoir appris énormément au montage. J’ai travaillé avec un autre cinéaste guatémaltèque, qui est aussi monteur, un très bon ami. On n’avait pas d’argent pour ce film, j’ai eu 3 mois de préparation avec l’équipe, personne ne peut avoir ça actuellement. Mais à la fin, on a été dans le luxe complet. Je suis parti avec mon monteur au Guatemala pour pouvoir travailler avec un traducteur : même si je connaissais par coeur le scénario, on voulait être sûrs de ne pas couper la scène au milieu d’un mot. Notre traducteur est le comédien qui joue Ignatio, Justo Lorenzo (rires) (NDLR : son personnage dans le film traduit très mal dans le film, volontairement). Puis il est revenu avec moi en France. Il m’a été avec moi tout le temps, dans chaque endroit où je me sentais le mieux pour travailler. On a essayé beaucoup de choses au montage. On est revenu finalement aux idées premières du scénario. On a coupé très peu de scènes car on avait très peu de matériel. On a laissé de côté des scènes qui nuisaient au rythme du film. Mais des choix importants se sont décidés au montage, comme par exemple le fait de commencer le film et de le finir par la même scène. Une des toutes premières version commençait avec le mariage.
Une construction en flash-back alors ?
Oui, mais je me suis dit que cela faisait trop court-métrage, donc on n’a pas gardé cette idée. Et à la fin du montage, mon monteur s’est rappelé de cette idée et m’a proposé de la reprendre avec une scène similaire, en début de film, pour fermer la boucle ainsi.
Les scènes sont en effet en miroir. En plus du voile de mariée qui n’est présent qu’à la fin, le son est aussi différent.
Tout à fait ! C’est rare qu’on m’en parle. C’est aussi une idée de mon monteur qui voulait qu’on joue avec le son, que l’ambiance sonore soit différente, qu’elle monte à la fin.
La réception du film change-t-elle selon qu’on le présente à la Berlin ou à Toulouse ?
La Berlinade était notre tout premier festival. Mais pour nous, l’émotion la plus forte a été au Cinéma en Construction Toulouse-San Sebastián. Je n’étais pas du tout satisfait de la version du film qu’on proposait. J’étais déjà très surpris qu’il soit retenu. J’ai transpiré pendant toute la projection, mais j’ai vu la salle réagir. Cela a été très intéressant. En sortant de la salle, sans me vanter, presque tous les festivals sont venus nous inviter.
En quoi le film a-t-il changé après Cinéma en Construction ?
On avait un ours, je veux dire un brut du film. L’histoire était là, et on n’a pas rajouté beaucoup de scènes, car on était dans un tournage précaire. J’allais dire qu’on avait tourné ce dont on avait besoin, mais non, en fait, on a tourné ce qu’on a pu. Même avec plus de moyen, on n’aurait pas fait plus de scènes que celles qu’on a faites.
Combien de temps le tournage a-t-il duré ?
Six semaines
Et travailler au pied d’un volcan, c’est chouette ? (rires)
Oui, on a dû évacuer car il est entré en éruption. A cet endroit, la police, -qui est un peu une police particulière car c’est une police des touristes-, était venue nous prévenir que si le volcan posait un soucis, on était priés de partir de notre gré très vite, sinon, on devenait des touristes. Comme on devenait dans ce cas-là prioritaires, ils devraient nous évacuer, mais vu le nombre qu’on était, on pouvait mettre en danger la communauté. On avait donc prévu un bus de la communauté pour évacuer. Le volcan est entré en éruption. Ce n’était pas un film d’horreur : on a le temps de voir la lave couler. On s’est dit qu’on avait quatre heures pour évacuer, on a appelé le propriétaire du bus pour qu’il vienne, mais il nous a appris que le bus n’avait pas de roues.
C’est la rigueur de la langue « avoir un bus » ne veut pas dire qu’il a des roues…
Quelqu’un a cherché des roues pour qu’on puisse assembler le bus. J’ai eu la chance d’avoir une équipe qui ne m’a jamais lâché, on a tout donné. On s’est reposé pour les réveillons de Noël et du Nouvel An, sinon, on a travaillé tout le temps. Le volcan nous a imposé un break, nécessaire. Après, on a tourné les scènes de la ville, puis on est revenu au volcan pour des scènes dans la maison.
Avez-vous pu voir d’autres films de la compétition ?
J’ai vu le film « La mujer de barro ». J’adore vraiment. Le rôle principal a une force extraordinaire lui aussi. Je n’ai pas eu le temps d’en voir d’autres.
Vos deniers coups de coeur ?
Le film mexicain que je trouve magnifique, « 600 Millas », que j’ai vu à Berlin. Un très très beau film.