Pas besoin de fin ramage avec un aussi beau plumage
De quoi parle l’Oiseau Vert ? La pièce de Carlo Gozzi a en effet beau être désignée comme une fable philosophique, les intrigues prolifèrent tant et si bien que le fil conducteur initial (s’il y en a vraiment un…) se dissout très vite dans ce grand bouillonnement littéraire qui mélange aussi bien scènes de féerie, commedia dell’arte, quête de vérité et querelles philosophiques.
« Il y a bien sûr le merveilleux, mais il y a aussi une satire, une peinture de l’humanité extrêmement méchante […] »*
Certes, dans cette histoire où un frère et une sœur qui ont grandi le nez dans des livres de philo alors même qu’ils ont été élevés par un couple de charcutiers (féerie ou principe républicain d’égalité des chances ?) partent à la recherche de leurs vrais parents dès lors qu’ils sont informés de leur adoption, Carlo Gozzi semble vouloir régler des comptes avec la notion d’amour propre, celle-ci faisant l’objet d’une remise en cause assez railleuse au fil de dialogues qui opposent la mère charcutière (« Smeraldine ») à ses deux enfants adoptifs. Si le sujet faisait probablement l’objet d’un vaste débat philosophique en 1765, date de publication de cette pièce, force est de constater qu’il fait difficilement écho à nos préoccupations contemporaines et qu’il peine à dépasser aujourd’hui la seule « valeur documentaire » (lire à ce sujet le commentaire érudit de J-J Delfour).
« Par moments, on est dans une tragédie, par moments, on est dans la grosse farce, par moments, on est dans la féerie. Il faut aussi qu’avec la scénographie, on joue de tout. »*
Fort heureusement, Laurent Pelly aborde cette pièce colossale telle une formidable machine à faire jouer les acteurs comme le décor. Le gigantesque plateau ondulé comme une vague figée recèle quantité d’ouvertures d’où émergent de vastes toiles permettant d’illustrer aussi bien une cité que des apparitions féeriques, tandis que de grands cadres descendent à hauteur de comédien et se promènent de gauche à droite pour mettre en valeur le ridicule des vanités princières ou servir de fenêtre au château royal. Avec son équipe de six machinistes secondant 2h30 durant les apparitions plus ou moins rocambolesques des douze personnages qui peuplent ce conte, on peut dire que l’Oiseau Vert est au théâtre ce que le blockbuster hollywoodien est au cinéma. La troupe s’en donne à cœur joie, tandis qu’Emmanuel Daumas et Marilú Marini brillent littéralement dans leurs rôles respectifs de roi et reine mère, formidables crapules prises dans une course à qui paraîtra le plus outrageusement ridicule pour amuser la galerie.
La fable philosophique s’efface donc allégrement devant le temple du divertissement, mais entre la caducité de la première et l‘efficacité du second, force est de constater que l’Oiseau Vert selon Laurent Pelly trouve là une mise en scène optimale (parvenant à convaincre que la forme doit ici l’emporter sur le fond), et ce n’est assurément pas la rareté des commedia dell’arte sur les plateaux de scènes nationales qui l’empêchera de survoler brillamment l’ensemble des programmations actuelles.
* Citations extraites de la Conversation entre Agathe Mélinand et Laurent Pelly, disponible dans le programme de séance ainsi que sur le site du TNT
Représentations :
Jusqu’au 21 mars au TNT-Toulouse
Une fable philosophique de Carlo Gozzi — Texte intégral traduit par Agathe Mélinand —
Mise en scène, décors et costumes : Laurent Pelly — photos : Polo Garat Odessa – vu le 14/03/15 au TNT Toulouse – Créé le 25 Février 2015
Saad Lahbil
Une Chronique de Dans la tête du spectateur