Marionnettiste, acteur, danseur et chanteur, tel un ventriloque abritant en lui les nombreux personnages qui ont jalonné sa vie, Jonathan Capdevielle a présenté au Théâtre Garonne « Saga », sa deuxième création autofictionnelle.
Quand il n’est pas interprète dans les spectacles de Gisèle Vienne, Jonathan Capdevielle élabore des spectacles à la veine autobiographique, très personnels. Personnels et pourtant d’une intensité émotionnelle rare tant ils touchent à nos racines, à ce qui nous construit tout au long d’une vie. La vie de Jonathan Capdevielle, elle, prend sa source dans les Hautes-Pyrénées, à Tarbes, dans cette petite ville dont on comprend que l’enfance et l’adolescence tumultueuses qu’il y a passé, ont forgé cet artiste brillant et complet qu’il est devenu : marionnettiste, acteur, danseur, chanteur (sublime). Jonathan Capdevielle est ainsi doué de transformisme vocal, capable de passer d’un registre à l’autre, d’entonner du Céline Dion et d’enchaîner avec la même sincérité une chanson paillarde, de danser sur du Madonna et d’imiter son père avec une tendresse à vous faire monter les larmes aux yeux, de prendre l’accent rocailleux du Sud-Ouest puis l’instant d’après la petite voix de l’enfant qu’il était.
Car c’est bien de son enfance, de sa famille dont nous parle Jonathan Capdevielle dans « Saga ». Le spectacle fit l’ouverture du festival toulousain In Extremis au Théâtre Garonne, trois jours après sa création au Parvis, à Tarbes, tel l’enfant du pays de retour en terres pyrénéennes… Le décor est planté : une montagne à la texture de peau d’ours servant de réceptacle à des souvenirs cocasses et tristes. De là, autour de sa sœur Sylvie et de son beau-frère Alain qui tenaient une boulangerie à Ger, surgissent des amis aux sobriquets de marques de voitures, un cercle de copains gitans figures du petit banditisme, une créature affolée aux manières excentriques… C’est autour d’eux, à l’aube des années 90, que s’est construit le petit «Jo», au milieu d’une vie qui ressemblait à un théâtre : le boulanger ne vendait pas que des petits pains, on braquait en famille les supermarchés de la région, la police faisait des descentes au petit matin dans la maison familiale.
« Saga » se construit par superpositions et juxtapositions d’images – faisant cohabiter culture pyrénéenne vernaculaire, culture occitane et musique populaire des 90’s – et par multiples ruptures laissant jaillir épisodes de vie triviaux et sublimes, pour rendre compte d’un roman familial poignant et drôle et surtout toujours juste. Car c’est cette honnêteté qui est bouleversante chez Jonathan Capdevielle, celle avec laquelle il nous fait partager ses origines rurales plus souvent frustres que glamour, sans boboïsme poseur ni régionalisme goguenard. Après « Adishatz/Adieu », Jonathan Capdevielle, entouré de trois comédiens audacieux, se met ici à nouveau à nu même s’il est le seul véritablement à garder ses vêtements.
Spectacle en forme de résilience, « Saga » réussit à allier dans une écriture rigoureuse et intelligente divers niveaux de lectures, de genres, d’univers, qui arrachent des pleurs dans les rires. À la fois tellurique et aérienne, cette pièce nous donne à voir l’étendue des talents de son auteur. Jonathan Capdevielle est un acteur réellement fascinant et troublant, tel un ventriloque, abritant en lui les nombreux personnages qui ont jalonné sa vie. « Saga » est une déclaration d’amour à tous ces gens et une façon élégante d’affirmer par là, qu’il est bien l’un d’eux.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Festival In Extremis, jusqu’au 25 avril, au Théâtre Garonne.
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photos © Estelle Hanania