Au TNT, Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Œstermann interprètent « Ugzu », spectacle basé sur l’art de la parole et les jeux de mots dont ils sont les auteurs.
Dans la langue française il y a des mots pour signifier «vouloir être ici quand on est là et vouloir être là quand on est ici» : le romantisme, «se lever le matin tout endolori» : exister. Mais très souvent il n’y en a pas pour qualifier nos petits tracas et bonheurs quotidiens, alors heureusement il y a des gens qui les inventent : Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Œstermann, auteurs des quatre tomes du « Baleinié, dictionnaire des tracas », en ont même fait des spectacles. Après « Xu » et « Oxu » voici donc « Ugzu », actuellement à l’affiche du TNT. Ugzu – à savoir une urne dont on ne sait que faire, une fois les cendres dispersées, est un spectacle jubilatoire où tous les spectateurs rient, du plus jeune au plus âgé.
Dans le public, chacun connaît ou a déjà connu les situations évoquées, qu’elles soient douceurs du quotidien – une douceur n’étant qu’un tracas en retard ! -, petites contrariétés ou grands moments de solitude : avoir fait tout ce qu’on s’était dit qu’on ferait sans procrastiner, entendre un mot sur deux d’une conversation parce que l’on mange des chips, tenter de remonter sa culotte à travers son manteau, avoir le nez qui coule quand on transporte un matelas, sortir souriant mais effondré de chez le coiffeur… Boulbos, abatraphier, glindole, ertepoul, balminer, jubitir, autant de néologismes, verbes et substantifs, drôles et gourmands, qui font danser la langue et l’imaginaire.
Assis sur des sièges aussi surréalistes que leurs mots, les trois comparses commencent par énumérer leur dernier meilleur pire souvenir et leur dernier pire meilleur souvenir. Chemin faisant, comme de vieux amis se connaissant par cœur, ils font la liste de leurs fantasmes, avouent leurs petites hontes, échecs, faiblesses – comme détester le film « les Enfants du Paradis »… C’est tout un monde qui se déploie sur le plateau auquel on pourra trouver scénographiquement à redire. Un monde ludique, ouvert sur des infinis poétiques. Un monde où il est doux de se retrouver pour ceux qui ont le goût des mots et savent rire de leur gaucherie et de leur côté perdant : comme Christine Murillo qui attend dans le train que ses voisins s’assoupissent pour manger ses œufs durs en première classe, ou qui, comme Grégoire Œsterman, ne sont pas sûrs de leur façon de marcher dans la rue…
Même s’il est essentiellement basé sur l’art de la parole et les jeux de mots, « Ugzu » vit par ses mises en situation, par ses personnages en émulation constante, en état de recherche, essayant d’attraper la pensée en plein vol. Les comédiens, dans des registres différents, forment un trio irrésistible : Christine Murillo, toujours aussi inventive, campe une comparse volubile, nature et joyeuse, au vocabulaire fleuri, hilarante dans sa parodie d’Arletty–Garance, face à Grégoire Œsterman en dandy détaché et cérébral et à Jean-Claude Leguay, plus bourru, terre-à-terre et direct. Cela se terminera en trio musical pour guitare, ukulélé et balalaïka — des noms qu’ils auraient pu inventer ! – dans un final où chacun dira en chantant ce qu’il n’a jamais dit de sa vie… Oui, c’est ça : Enchantant !
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
« Ugzu », jusqu’au 31 janvier, 20h00, au TNT, 1, rue Pierre-Baudis, Toulouse. Tél. 05 34 45 05 05.
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photos © Giovanni Cittadinesci