Le Théâtre du Capitole affiche à Toulouse « le Tour d’écrou » et « Owen Wingrave », deux courts opéras de Benjamin Britten, mis en scène par Walter Sutcliffe et dirigés par David Syrus, bénéficiant d’une distribution anglophone.
Courts opéras de Benjamin Britten, « le Tour d’écrou » et « Owen Wingrave » sont basés sur deux nouvelles d’Henry James aux atmosphères oppressantes. Peintures sociales d’une Angleterre de la seconde moitié du XIXe siècle crispée sur des valeurs sclérosées, ces ouvrages sont dotés d’ambiances sonores d’un réalisme fulgurant. Créé en 1954, à la Fenice de Venise, « le Tour d’écrou » est un opéra de chambre qui a pour cadre un manoir anglais, où deux enfants sont aux prises avec leur nouvelle gouvernante. Représenté pour la première fois en 1971, au Royal opera House de Londres, « Owen Wingrave » est le récit de la lutte d’un jeune homme pacifiste en rupture avec la pesanteur d’une tradition familiale militariste. Contemporain de la guerre du Vietnam, cet ouvrage est révélateur des convictions antimilitaristes du composteur. Walter Sutcliffe assure à Toulouse une mise en scène de ces histoires troubles de familles. Si « Owen Wingrave » (photo) est présenté dans la production créée en 2010 à l’opéra de Francfort, le metteur en scène anglais signe pour « le Tour d’écrou » une nouvelle production au Théâtre du Capitole.
Walter Sutcliffe atteste : «Il y a du sens à donner ces deux opéras ensemble : tous deux sont basés sur des nouvelles de Henry James, qui sont toutes deux des nouvelles dites “de fantômes˝, toutes deux se passent dans des maisons dans la campagne anglaise… Britten est un compositeur qui nous donne la possibilité de partager l’expérience des outsiders. Ses rôles-titres, Peter Grimes, Albert Herring, Billy Budd, Owen Wingrave, sont des outsiders, ou le deviennent. Ils tentent de rester fidèles à leurs valeurs, à ce en quoi ils croient, face à la pression sociale, à l’obligation de se conformer à la norme de la majorité. À l’exception de Herring, les autres grands personnages principaux de Britten sont écrasés par l’obligation de conformité sociale, à l’instar de ce qui se faisait dans la tragédie classique ; ce conflit entre l’individu et le conformisme est l’un des ressorts les plus puissants de l’univers de Britten.»
Le metteur en scène poursuit : «Pour « le Tour d’écrou », nous avons deux jeunes enfants dont les adultes ne s’occupent pas beaucoup. Pourquoi ? Parce que leur tuteur, leur oncle, est trop occupé. Apparaît alors la gouvernante. Une gouvernante dont le prologue prend bien soin de nous indiquer qu’elle n’a aucune référence, qu’elle n’a pas été mise à l’essai… Si l’oncle s’intéressait davantage à ces enfants, il aurait assurément choisi quelqu’un d’autre. Mais il n’en a que faire. La jeune fille en question sort de nulle part. L’horreur, dans cet opéra, ne vient pas d’une histoire de fantôme, mais bien plutôt de la réalité qui consiste à donner la garde d’enfants à des personnes elles-mêmes inadaptées, voire déséquilibrées. La grande question que pose Britten, c’est : qui est responsable de ces enfants ? La gouvernante arrive dans une situation qu’elle ne comprend pas, qu’elle ne saura pas maîtriser. Elle ne saura donc pas s’occuper correctement des enfants, accompagner leurs apprentissages, leur évolution, leur découverte du monde, leurs tentatives de pousser les limites…».
Selon Walter Sutcliffe, «la forme de tragédie classique que revêtent chez Britten les héros qui contreviennent aux structures sociales trouve son expression la plus aboutie avec « Owen Wingrave ». Owen trouve qu’il ne peut ni ne doit accepter les us de sa propre société : tuer et mourir sur le champ de bataille. Il se dresse contre cela, refuse de prendre sa part de cet habitus, mais à la fin, il ne parvient pas à s’en échapper totalement et le combat qu’il livre contre lui-même pour se dégager va le détruire. Je trouve que cette œuvre est l’opéra naturaliste le plus convaincant que j’aie jamais mis en scène. Du fait qu’on soit là dans une pièce, un film en l’occurrence, quoique chanté, il s’agit pourtant toujours d’une conversation, où chaque mot a son importance. La grande force de cette œuvre, c’est sa simplicité et sa clarté. Je n’ai jamais vu un opéra où les personnages soient aussi clairement signifiés, leurs motivations, leurs désirs aussi forts. Cet opéra est à mon sens une vraie perle et va sans aucun doute prendre rapidement place parmi les plus grands chefs-d’œuvre de Britten.»
Une distribution exclusivement anglophone sera dirigée par David Syrus. Le chef anglais retrouve ainsi l’Orchestre du Capitole, après avoir dirigé à Toulouse « Albert Herring » de Britten. Selon lui, «comme dans de nombreux ouvrages de Britten, les jeunes sont trahis par les anciennes générations. Dans « le Tour d’écrou », on peut imaginer que les gens qui voient des fantômes ne sont pas eux-mêmes très sains d’esprit ; d’ailleurs peut-être que les fantômes n’existent pas. Ceux d’ »Owen Wingrave » existent bel et bien ; ils sont l’héritage de l’histoire de cette famille, ils sont les ténèbres de son passé. Ces deux opéras sont importants. Britten a expérimenté de nombreuses formes de théâtre musical dans sa carrière. « Le Tour d’écrou » n’est pas son seul opéra de chambre, mais certainement le plus parfaitement construit pour une troupe réduite. « Owen Wingrave », conçu pour la télévision, offre toutes sortes de possibilités nouvelles dont les plus importantes sont la capacité de changer instantanément de décor et d’équilibrer un grand orchestre avec les voix. En termes d’idées, nous pourrions dire que « le Tour d’écrou » est le plus insaisissable et ambigu de ses opéras, alors qu’ »Owen Wingrave » est sa pièce la plus spécifique, politique et didactique», termine David Syrus dans un entretien publié par le Théâtre du Capitole.
Jérôme Gac
Du 21 au 28 novembre, au Théâtre du Capitole, place du Capitole, Toulouse.Tél. 05 61 63 13 13.
Conférence : jeudi 20 novembre, 18h00 ;
Rencontre : «Un thé à l’opéra», samedi 22 novembre, 16h30 ;
Journée d’étude, jeudi 26 novembre.
Au Théâtre du Capitole (entrée libre).
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photo: « Owen Wingrave » © Monika Rittershaus