Au théâtre du Pavé, « Concerto en lutte majeure », la nouvelle création de Brigitte Fischer, nous embarque dans une aventure humaine douce-amère avec au bout, l’espoir de sortir la tête de l’eau.
Dans toutes ses créations, Brigitte Fischer aime raconter des histoires. Pas des contes de fées, non, mais des histoires d’hommes et de femmes bataillant dans la complexité de l’existence. Révoltée contre les enfermements qu’ils soient physiques ou mentaux, y compris même de nos propres vies, ses pièces douces et cruelles sont à la croisée de la danse et du théâtre. Avec « Concerto en lutte majeure », elle nous embarque aujourd’hui dans une aventure humaine douce-amère, avec au bout l’espoir de sortir la tête de l’eau. La chorégraphe toulousaine ouvre encore le champ des possibles en évoquant la résilience. Au jeu, à la danse et à la musique vient s’ajouter en filigrane la voix off de Douma Poésy – au patronyme aussi éloquent que ses pensées joliment vigoureuses sur tout ce qui façonne nos existences. Des paroles qui sentent le vécu, l’expérience et l’observation accrue des hommes, déboulonnant au passage quelques croyances sur l’amour ou autres clichés sur la vieillesse.
Dans un décor de bric-à-brac évoquant un naufrage maritime, une femme et un homme semblent échoués sur une île : deux êtres face à eux-mêmes, seuls, oubliés de la société, de ces Robinson Crusoé anonymes que l’on croise dans les grandes métropoles. Elle, sorte de sirène-punkette, et lui, tel un Diogène contemporain émergeant d’énormes chambres à air dont il s’est fait un abri, vont confronter leur détresse pour se trouver aux détours de multiples effleurements et approches.
Le spectacle avance selon une dramaturgie, au fil de tableaux rythmés par une excellente bande-son rock et jazz rugueuse et très cinématographique. De solo en duos expressifs, où le burlesque s’invite au cours de numéros empruntant à la comédie musicale (Ginger Rogers et Fred Astaire) ou à l’attachant duo des « Temps modernes » (Paulette Goddard et Charlie Chaplin), il affleure de ce concerto un charme tout en sensualité et sensibilité. Grégory Bourut et Lise Laffont ont en commun une double formation – expression corporelle et comédie – qui imprime à leur jeu une délicatesse et une palette émotionnelle variée.
La poétique de Brigitte Fischer – la chorégraphe fait ici quelques brèves irruptions – se réfère davantage à un certain réalisme magique qu’à un dépouillement formel propre à la danse contemporaine, et son esthétique tient davantage du mouvement en tant que vecteur narratif que du geste pur. Le plateau entier se fait mouvement : comme un bateau ballotté au gré des vagues, les corps chavirent, s’empoignent, se bercent, l’espace tangue autour de la chorégraphe, robe et cheveux virevoltant, un poisson volant géant vient vous caresser la tête…
Ce spectacle complet et abouti a des allures de bilan de vie d’une artiste qui ne cesse de chercher et de questionner la condition humaine. De la naissance au crépuscule de la vie, la voix rocailleuse de Douma Poésy, à la philosophie et au détachement de vieille dame pas sage, nous accompagne. «J’ai compris ce que j’avais à comprendre» conclue-t-elle. Et nous aussi : ce « Concerto en lutte majeure » est une invitation sincère et généreuse à faire de nos failles notre force, et à ne pas renoncer… contre vents et marées. Une nouvelle bataille gagnée par Brigitte Fischer.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
« Concerto en lutte majeure »,
du mardi 4 au dimanche 9 novembre,
au Théâtre du Pavé,
34, rue Maran, Toulouse.
Tél. 05 62 26 43 66.
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photo © Sophie Gisclard
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