Dommage de lire, qu’Un Ballo in Maschera, opéra de Giuseppe Verdi, « constitue un tardif avatar du bel canto romantique » ! Avatar, donc mésaventure, incident fâcheux, en un mot, le natif de Bussetto aurait mieux fait de se plonger dans un Roi Lear qu’il convoitait alors comme sujet d’opéra nouveau plutôt que d’insister malgré les censures successives. On remercie la patience du librettiste Antonio Somma alors si malmené jusqu’au bout par le Maître. Dommage ou plutôt tant pis pour ceux qui n’apprécient pas. Pour ma part, cet opéra constitue bien un des sommets de sa production, tant sur le plan musical que sur celui du livret, et du résultat final. Et avant d’aller plus avant, Un Bal Masqué pas chanté par des italiens = pari perdu, une belle ânerie toute empreinte d’effluves journalistiques “seiniques“.
(Consulter mon article d’annonce)
Après avoir assisté à trois représentations, voyons quelques impressions. D’autres, lues seront reprises et serviront de fil rouge.
Le directeur musical, Daniel Oren, ignorerait, paraît-il, l’ « électricité toscaninienne » ! et se contenterait de « se délecter des infinies beautés prodiguées par l’orchestre maison ». Encore heureux qu’au moins, ses qualités – de l’orchestre – soient reconnues, mais on n’a pas attendu l’avis de ce pisse-froid pour en être persuadé. Pour ma part, il m’a suffit de ne pas lâcher une seule seconde la gestuelle de ce chef aux bras comme des ailes d’albatros, et ce, durant les quelques minutes du duo final sous le lustre, pour constater que l’homme ne lâche rien, pas une miette de partition, pas une miette d’intention, pas un seul son des chanteurs comme des musiciens. Moments de fougue ou d’élégie, il en fut ainsi pendant tout l’opéra. Oui, on a pu retrouver lyrisme et sensibilité, dramatisme et tension. L’énergumène en question, sait-il que, malgré le branchement du chef sur tout juste 110 volts, les musiciens ont tout de même un petit faible pour lui, et qu’ils sont très contents de travailler avec sur une produc’ ?
Quant à la mise en scène de Vincent Boussard, peut-on se risquer à trouver quelque agrément à l’ensemble sans passer pour un benêt ? Peut-on, juste un exemple, avoir apprécié la minutie apportée à la succession des plans dès la première scène du dernier acte avec Amélia sous la menace du revolver brandi sur elle par Renato ? Tout s’enchaîne sans faillir, et on peut le constater d’autant mieux si l’italien nous est familier ou si l’on peut lire les surtitres. D’autres exemples pourraient être détaillés, tout comme le travail permanent des lumières en adéquation avec les intentions de Verdi. On est vraiment désolé, toujours pour les mêmes, qui auraient bien voulu, qui sait ? velours et taffetas pour les costumes, grandiloquences et déploiements somptueux. Un peu d’intemporel, pourquoi pas, mais de très bon goût : merci Christian Lacroix, cela change des treillis et des costumes en polyester qui s’effilochent.
Quant aux décors de Vincent Lemaire, un seul exemple, avec celui du gibet : un pendu, pas deux. L’atmosphère est d’autant plus difficile à créer, c’est sûr. Mais fallait-il des squelettes, ou des marionnettes trucidées pour faire plus ambiance ? Le plateau vocal a suffi. Entrées et sorties des protagonistes et circulation sur le plateau sont facilitées par cette double-boîte. Quant aux couleurs et intensités lumineuses, tout au long d’une bonne partie du livret, il fait sombre, il fait nuit ou presque. Guido Levi a réglé ses lumières en accord total avec les intentions du livret et de la musique.
Au fait, « l’ukrainien Dmytro Popov ne manque ni de vaillance ni de tempérament, mais ce Riccardo a tendance à jouer les stentors au détriment de la nuance et du soleil latin. » Et vlan, dans le genre : « T’as de la voix mais tu ne sais rien en faire… », c’est envoyé. Peu importe qu’il soit jeune, avec un italien sans problème, comédien, plein d’assurance, la voix facile, juste de bout en bout, un physique du rôle, mais oui, des compliments un peu en vrac, d’accord mais une façon de considérer que, comme un grand cru……Pendant ce temps les pisse-vinaigre peuvent retourner à Bergonzi, Pavarotti, Carreras et à la naphtaline.
Ukrainien lui aussi, Vitaliy Bilyy trouve un peu plus grâce à leurs oreilles embouteillées, encombrées par la voix de Ludovic, puisque le seul Renato actuel ne peut être que notre Ludovic. « Il est un peu plus musicien, (que Popov), fier d’une tierce supérieure insolente qui fait les grands Renato, hélas un peu faible du grave. » Vitaliy a compris ses limites, définies par la gent parisienne qui a décidé de ses qualités, lui qui a déjà chanté pourtant au Met, le Comte de Luna, Macbeth à la Scala, Escamillo à Munich, mais ça ne compte pas.
Pauvre Keri Alkema, la jeune américaine, si elle « met beaucoup de sentiments à son Amelia, le chant reste trop monochrome et parfois déstabilisé par un encombrant vibrato ». Nous n’avons sûrement pas entendu la même artiste au fil des représentations, et encore moins tous ceux qui dimanche 5 octobre l’ont longuement applaudi. Etaient-ils donc aussi nombreux avec leurs Sonotone ou Phonak mal réglés ? Après Anna Bolena à Bordeaux, certains s’étaient déplacés pour l’entendre dans Amélia : des fous. Mais, tout de même, le duo d’amour ne vous a –t-il donc pas un brin ému ? ni le jeu, ni le chant ? cet aveu d’amour sur tapis de violoncelles ? Rien ?
Quant à la russe Julia Novikova, charmante au demeurant, enfin un compliment, « ce n’est pas le plus pétillant des Oscar qu’on ait entendu. » On se disait bien que ça n’allait pas durer ! Ses arias ne sont-ils pas gracieux ? Il-Elle m’a paru pourtant brillant d’allure et agile de timbre notre Oscar ? N’est-il pas ? Démarche féline tout en accord avec les accords guillerets, non ? Et son « Splendissimo ! » venant juste après cette scène si dramatique ! Ah, Verdi !
La russe Elena Manistina est une Ulrica de belle allure, plus diseuse de bonne aventure de standing que pythonisse de bas-quartier. Le timbre, pas assez sombre à mon goût passe alors plus facilement dans le décor et les costumes.
Mais comment oublier même dans un article qui se doit d’être court la qualité des Chœurs qui ont été remarquables, hommes comme femmes et enfants ? Il FAUT insister, tellement ils sont de plus en plus indissociables des succès rencontrés sur la scène du Capitole. Ceux qui étaient là en 1955 pour Bergonzi pourraient vous parler des chœurs d’alors !!!
Et les quelques comprimari, auraient-ils démérité ? Tom, Samuel, Silvano ? Pourtant, ce dernier n’eut pas la tâche facile : voix de baryton pour rôle de basse ! à plus forte raison, un mot aimable…
Après, je conçois que l’on soit plus …sur, les larmes de sang, le choix des costumes pour les enfants, la voiture téléguidée a beaucoup interrogé le spectateur, le “Blizzand“ d’Amélia au gibet…On s’interroge, et cela permet de discuter à nouveau du spectacle.
En tous les cas, il vous reste le 7, le 9 et le 12 pour assister à un très beau Bal Masqué, de Verdi, pas chanté par des italiens, d’accord mais des artistes investis qui vous convaincront et sauront vous donner des émotions. Et n’oubliez pas, il faudra peut-être attendre … 30 ans, avant une nouvelle production !
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Photos : Patrice Nin