« Les âmes noires », un film de Francesco Munzi
Les paysages sont beaux, grandioses et austères à la fois. Nous sommes dans cette région italienne de Calabre dans laquelle le silence assourdissant que fait peser la mafia sur ce monde rural, autorités incluses, résonne cependant de coups de feu et de pleurs. Le réalisateur a planté là sa caméra, très précisément dans le village d’Africo. Réunissant comédiens professionnels et habitants de cette petite agglomération, il nous offre une vision très personnelle des ravages de la pieuvre dans ces contrées. Loin des superbes clichés hollywoodiens sur ce mal qui taraude la péninsule, le cinéaste prend le parti de l’intimité, sans esbroufe aucune. L’usage du dialecte local et un dialogue réduit à sa plus simple nécessité ajoutent à la sensation de malaise et d’étouffement dont ce film nous envahit. Ils sont trois frères, Luigi serait l’intellectuel du trio, chef d’entreprise respecté mais aussi spécialiste en blanchiment en tous genres, Rocco a plongé définitivement dans l’action brutale autour du trafic de la drogue, Luciano, lui, se tient tant qu’il peut à l’écart des dérives fraternelles et garde ses chèvres. Il a un œil en permanence sur son fils, Leo, fatalement attiré vers le côté obscur de la famille. Francesco Munzi se plait à détailler les tenants et les aboutissants de ces vendettas séculaires transmises comme un mauvais gène de génération en génération. C’est la force de son film, au même titre que la qualité de comédiens, à peu près inconnus, mais d’une justesse de ton et de regards sidérante de profondeur. Un beau film, qui traite en filigrane, tout comme Saimir de ce même réalisateur, sorti il y a 10 ans, d’une relation dure entre un père et son fils. Abrupt mais envoûtant, à l’image d’une tragédie grecque.
Robert Pénavayre