« Du goudron et des plumes », un film de Pascal Rabaté
Fans de Lucky Luke, vous connaissez par cœur la punition faite aux tricheurs dans ce légendaire western. Ils sont tout simplement couverts de goudron liquide sur lequel ensuite il est dispersé des plumes. Afin que nul n’ignore. C’est un peu ce qui pourrait arriver à Christian. Commercial dans une entreprise de luttes contre les insectes xylophages, il emploie des méthodes peu orthodoxes pour faire signer aux plus fragiles des contrats, franchissant allègrement les limites de l’abus de faiblesse. Qui plus est, il forme son stagiaire à ce sport bien peu recommandable. Divorcé, Christian mène une vie de patachon dans laquelle seule son adolescente de fille apporte un éclairage serein. Nous sommes à Montauban, ville où se déroule cette année le télévisuel triathlon de l’été. L’équipe de rameurs étant en manque de bras, Christian finit pas se laisser persuader de participer à la compétition, pendant que sa fille jouera les majorettes pour l’événement. C’est dans cette joyeuse préparation qu’il va rencontrer Christine, maman d’une autre experte en défilé. Elle vit seule, enceinte une nouvelle fois. Entre ces deux êtres fragiles et désorientés, un lien inévitable va se tisser. Mais les mauvaises habitudes professionnelles de Christian vont le rattraper et provoquer un authentique psychodrame dans son entourage. Pascal Rabaté aime les petites gens et les lieux ordinaires de la vraie vie. Il sait les filmer avec une tendresse et un réalisme qui forment sa marque, reconnaissable entre toutes. Ce qui ne l’empêche pas de céder à la tentation d’un regard amusé et un rien vachard. Ici ce sera pour littéralement crucifier les présentateurs de ces jeux télévisés de la période estivale qu’il s’amuse à croquer avec délice. Dans ce registre, il est difficile de ne pas inclure également le coach de l’équipe d’aviron. Un monument !
Le film tient cependant sur les épaules de Sami Bouajila, un comédien épatant que nous avions découvert en 2000 avec un road movie tout en délicatesse et poèsie : Drôle de Félix. Depuis il enchaîne production sur production avec un talent indéniable. A ses côtés, Isabelle Carré, véritablement enceinte lors du tournage, ce qui a entraîné une modification du scénario, campe une Christine toute en retenue et en fragilité. Dans un rôle hélas épisodique, Pascal Rabaté a convoqué Daniel Prévost. En un seul regard et trois mots, le talent de cet acteur explose et s’impose comme une évidence. Bien peu d’artistes peuvent se vanter d’irradier une telle aura immédiate. Une comédie sentimentale qui ne cache pas son nom, pas chichiteuse pour deux sous mais qui fait mouche avec une légèreté de ton qui en dit long sur le talent de son réalisateur.
Robert Pénavayre
Pascal Rabaté – Réalisateur, acteur, scénariste, mais avant tout bédéiste
Ce français de 53 ans est arrivé relativement tard dans le monde du long métrage. C’est en 2009 qu’il présente au public l’adaptation de l’une de ses bandes dessinées : Les petits ruisseaux. Suit deux ans plus tard Ni à vendre, ni à louer. Mais ce qui l’a poussé sous les feux des sunlights est assurément son adaptation d’un roman fleuve de Tolstoï sous le titre d’Ibicus. Multi récompensée, cette bd de quelques 500 pages (!) est un véritable monument dont le premier tome est sorti en 1998. S’attachant aux gens ordinaires, refusant tout cliché, cet artiste clamant haut et fort qu’il n’a pas de style, est un amoureux des chroniques provinciales. Son troisième et dernier opus cinématographique le démontre admirablement.
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