Vigoureusement militant, bien sûr. Mais pas que.
C’est toujours un vrai bonheur que de voir un film de Ken Loach. Ce qui fascine dès les premières images, c’est incontestablement la stupéfiante maîtrise de la lumière, du cadrage, de la direction d’acteur. Dans cette trilogie fondamentale de qualités, nous avons les piliers de tout film digne de ce nom. Mais avec ce réalisateur britannique, le plaisir ne s’arrête jamais là. Avec ce militant convaincu en guerre permanente contre le pouvoir, quel qu’il soit, qui écrase les plus démunis, il est rare que le scénario ne se conjugue pas dans les mêmes termes d’exigence.
Il en est ainsi avec ce dernier opus qui nous propulse dans l’Irlande des années 30. Le pays vient de se débarrasser, au prix d’une guerre civile, de la tutelle britannique. Les plaies sont encore béantes alors que l’Eglise, qui a le monopole de l’éducation, et l’IRA tentent de maintenir une paix bien précaire. Derrière eux ne se cachent même pas les riches propriétaires fonciers tenant leurs fermiers en une sorte d’esclavagisme moderne. Leur peur panique : le communisme. C’est le moment que choisit Jimmy Gralton (l’histoire est quasiment authentique) pour revenir de son exil aux USA où ses idées progressistes l’avaient conduit. Sous la pression d’une jeunesse sans travail, sans avenir, sans perspectives et sans divertissements, il se décide à rouvrir une salle de bal dans laquelle on danse bien sûr, mais aussi on apprend la boxe, la lecture, la musique, le chant. Dans ses bagages, Jimmy a ramené des disques de chanteurs américains, pas tous blancs. Dans ce petit comté, c’est l’émerveillement. Le monde leur parvient au son des jazz bands. De même que les idées « partageuses » de Jimmy. Le regard sur une Eglise rétrograde, corruptrice, sclérosée, repliée sur elle-même, se fait de plus en plus critique. Ce qui ne plaît pas au supérieur de la paroisse qui s’empresse d’ameuter riches propriétaires et forces armées pour juguler ce vent de fraicheur que la jeunesse boit à pleines goulées. Jimmy devient l’homme à abattre. Ce sera d’autant plus difficile qu’il n’est pas à vendre. Finalement, en 1933, et sous prétexte qu’il est détenteur d’un passeport américain, il sera expulsé de son pays sans procès, fait unique dans l’histoire de l’Irlande ! Il n’y reviendra jamais et mourra aux USA en 1945 à l’âge de 59 ans. Son parcours ne pouvait qu’interpeller Ken Loach et lui fournir un scénario à sa totale mesure. Interprété par des acteurs professionnels quasi inconnus, dont le charismatique Barry Ward, comédien de théâtre, ici flamboyant d’authenticité dans le rôle de Jimmy, ce film, tourné sur les lieux mêmes de l’action historique, est de ceux qui resteront comme des parangons du réalisme social dans le 7ème art. Avec en plus, cette touche de générosité, de tendresse, d’héroïsme aussi qui est le sceau impérial de ce réalisateur. Magnifique !
Robert Pénavayre
Ken Loach – Il dit que c’est son dernier. My God !
Et même si c’était le cas, si Jimmy’s Hall était son dernier film, quelle carrière tout de même pour cet ancien et brillant étudiant en droit à Oxford ! Il est inutile de compter ses longs, ni ses incursions pour le petit écran, tant leur nombre est incroyable. A l’aube de ses 80 ans, le cinéaste britannique détient un palmarès qui a peu d’équivalent, dont une Palme d’Or à Cannes en 2006 pour Le vent se lève. Tous les grands festivals de la planète ont tenu à le récompenser, soit pour ses acteurs, soit pour ses films, soit pour son œuvre. Ce fan de foot ne pouvait que trouver dans la classe ouvrière un réservoir sans fond pour porter à l’écran ses idées de marxiste convaincu.
Pour quel public ?
A partir d’ados et au-delà car ce film est aussi une formidable leçon d’Histoire, romancée certes, mais qui porte en elle tous les ferments des crises actuelles. Pour mieux comprendre notre temps et réaliser combien, hélas, le passé ne sert à rien.