Daphné en est la démonstration. La nouvelle production de cet opéra jamais donné sur la scène du Théâtre du Capitole nous prouve qu’il eût été dommage de ne pas profiter pleinement de cette opportunité. C’est, au bilan, un très beau spectacle. Hélas, pour le public de la Première qui a vu la représentation annulée. Je reviendrai plus loin sur ce point.
Voir aussi mon article d’annonce. Et regretter, si l’on peut dire, que chaque spectateur ne puisse se plonger dans le livre-programme avant la représentation. Celui, très instructif, concernant Daphné, lui serait d’un grand secours à tout point de vue.
Richard Strauss, c’est aussi de la musique. Une heure cinquante de pur bonheur avec un chef, Harmut Haenchen, à son affaire, qui a su maîtriser et galvaniser à la fois tous les pupitres dans la fosse. Les mesures qui font penser à Elektra, Salomé, le Chevalier, etc… sont à foison. C’est du Strauss, pur jus. Le travail mené conjointement entre le chef et le metteur en scène Patrick Kinmonth semble avoir obéi à Richard Strauss qui, relativement à son opéra Capriccio écrivait : « Le devoir d’un metteur en scène et d’un chef d’orchestre consistant à traduire un livret de ce type de partition d’une manière qui respecte les intentions de l’auteur, est si grand et si complexe qu’il ne peut jamais être estimé, par le public et par la critique, à sa juste valeur lors d’une représentation pleinement réussie. Les interprétations fidèles aux notes et aux mots et l’improvisation conjointe et concordante du metteur en scène et du chef doivent être frère et sœur, comme le sont les mots et les sons. »
Les défections, côté distribution, ne semblent pas avoir contrarié l’ensemble. Tous, rôles principaux comme plus secondaires, du Premier pâtre au Quatrième, les deux Servantes, furent à leur affaire. On loue le couple Gaea – Peneios, mère et père de la nymphe Daphné, voix de mezzo tirant vers le contralto et voix de basse, Anna Larsson et Franz-Josef Selig. Daphné, le rôle principal est reconnu comme épuisant. Strauss, s’est-il plu à dessein à le rendre ainsi ? Aucun doute. La soprano Claudia Barainsky a, de fort belle manière, relevé le défi jusqu’à la vocalise finale dans sa métamorphose. Le ténor Roger Honeywell est bien le gentil berger amoureux qui finira transpercé par l’éclair divin. Mais, et ici se justifie mon titre, on ne peut qu’être interpellé dès les premières notes émises par Andreas Schager dans Apollon, le ténor qui, tel un véritable dieu, aurait pu, de par la projection de sa voix réveiller un mort sur la Terre!! Le Paradis, tout là-haut, en a tremblé ! Il reste à affiner l’émission mais, on peut affiner quand il y a matière. Ici, c’est le cas. Sans complexes, inflexible et invincible, il nous assène un chant tel que le compositeur l’a souhaité. Son air de bravoure achève de nous convaincre. Strauss parlait bien d’un rôle épouvantable. Il l’est. Les rôles à la mesure d’Andreas Schager sont à énumérer et on espère bien le retrouver ici dans l’un d’eux.
Quant à la mise en scène, décors et costumes de Patrick Kinmoth, l’ensemble s’accorde au thème mythologique et toute transposition nous a été épargnée. Ouf ! Daphné est un théâtre de paysage où le décor révèle véritablement la psychologie des personnages, et cela ne va pas plus loin. C’est comme un flash-back de la représentation d’un opéra baroque du temps du XVIIè ou XVIIIè. Bon, certains costumes peuvent faire penser un peu trop à la Grotte Chauvet mais mieux vaut ça qu’Avatar. Même les passages dionysiaques n’ont pas voulu nous dévoiler une fesse, ou entrevoir le quart de la moitié d’un téton. Qu’en aurait donc fait un Calixto Bieito s’il avait eu les clés !
Au moins, l’ensemble est homogène, il y a de très beaux tableaux et on nous laisse, à loisirs, profiter des voix et des chœurs et des danseurs et des mouvements de figurants. Le final, tout simple, est une réussite.
Pour revenir sur la Première annulée, et sur les interventions devant le rideau de scène en guise d’explications, il me semble que la compréhension du public et son adhésion seraient bien plus grandes si, à la place du blocage et de la frustration qui en découle – nombre de spectateurs venant, pour certains, de fort loin – si donc, et la production s’y prêtait fort bien, il était lue une liste invoquant tous les intermittents et assimilés ayant permis la mise en place d’un tel spectacle. On sait qu’ils sont nombreux pour cause de télescopage dans le calendrier avec un concert, un spectacle de danse, au moins, mais nombreux aussi de par les exigences de la production elle-même.
Les spectateurs ont rarement une idée de ces chiffres et ignorent la proportion de salariés et celle des intermittents. Le nombre de musiciens dans la fosse relevant de ce statut pour l’occasion, le nombre de choristes, celui des danseurs, des figurants, le nombre au niveau des personnels techniques, dans les ateliers, etc…Ce peut être des chiffres très parlants.
Et bien plus parlant que de réciter les revendications qu’un public averti, et ce n’est pas un vain mot, connaît par d’autres médias, évidemment. Alors, il serait sûrement très étonné et plus …coopératif, j’en suis persuadé. Mais, il n’est jamais trop tard. Mais, on n’empêchera pas d’avoir quelques négativement excités se refusant à l’écoute.
Ailleurs, aux saluts, ce sont les intermittents qui, un à un, ont quitté le plateau. Effets saisissants et…applaudissements.
Michel Grialou
Photos @ Patrice Nin