Sébastien Lifshitz présente ses derniers films à la Cinémathèque de Toulouse, deux documentaires, « les Invisibles » et « Bambi ».
À l’occasion de ses cinquante ans, la Cinémathèque de Toulouse déroule son histoire à travers « 50 moments de cinéma » parsemés tout au long de l’année 2014, en compagnie de ceux qui ont croisé sa route. Elle invite donc Sébastien Lifshitz (photo) parce que ses films (« Presque rien », »Wild side », etc.) sont travaillés par «un même rapport au cinéma: une quête de mémoire et d’identité. L’identité par la mémoire. La mémoire d’une identité. Des questions qui agitent l’œuvre de Sébastien Lifshitz comme elles traversent la Cinémathèque au travail». Le cinéaste a ainsi confié ses films à l’archive toulousaine, et également des rushes, des essais et des copies de travail. Il présentera ses derniers films, deux documentaires sortis en salles au cours des deux dernières années. « Les Invisibles » est une série de témoignages d’homosexuels ayant vécu au grand jour, à une époque où l’invisibilité des gays et des lesbiennes était la norme.
Le cinéaste raconte : «J’ai essayé de construire « les Invisibles » autour de séquences où l’on a le sentiment que la parole a le temps de se déployer, qu’elle est brute, naturelle et qu’elle n’est pas manipulée. Même si le montage, bien sûr, sculpte le témoignage et le contracte, j’ai essayé de couper le moins possible pendant le tournage. (…) Je voulais filmer des personnes âgées qui ne sont jamais montrées, regardées, ni écoutées au cinéma ou à la télévision. Voire à la radio ou dans la presse. Quand on parle d’eux, c’est pour évoquer la maladie d’Alzheimer ou le trou de la sécurité sociale et je voulais essayer d’inventer quelque chose de plus digne, de plus juste, sur la vieillesse, qui n’est pas forcément une déchéance ou un mouroir. Je trouve malsain que notre société ne représente pas un pan aussi important de sa population et ne la traite que par des clichés, alors qu’il est évident que les personnes âgées ont des choses à raconter et quelles sont intéressantes à regarder. Loin de l’image apaisée de la grand-mère gâteau et du grand-père qui va à la pêche, on découvre vite des hommes et des femmes dotés d’une parole libre, drôle et souvent crue. Ils sont actifs, engagés, ils ont des avis tranchés et ne sont pas forcément mesurés, ils parlent de sexualité, de désir, d’amour, toutes ces choses auxquelles on n’assimile pas la vieillesse.»
Sébastien Lifshitz poursuit : «Il était important d’inscrire les gens dans leur propre décor et de ne pas les installer dans un studio comme si on les avait posés là de manière arbitraire. Tout ce qui les entoure, leur espace, leurs objets, parle autant qu’eux. J’ai aussi essayé d’obtenir une parole spontanée, ni travaillée, ni répétée. Je faisais attention quand je rencontrais les « témoins » du film à ne pas leur faire raconter les détails de leur vie pour ne pas déflorer cet instant où quelque chose se « révèle » devant la caméra. J’ai utilisé mon instinct de réalisateur de fiction pour sentir, comme dans un casting d’acteurs, si les personnes que j’avais face à moi pourraient être les « témoins » de mon film», assure le cinéaste.(1)
L’année suivante, Sébastien Lifshitz réalise « Bambi », portrait d’une célèbre transsexuelle née en 1935 – alors prénommé Jean-Pierre – et devenue une vedette du music-hall. «Même si elle n’est pas très connue du grand public. Bambi a été une pionnière, une aventurière, à une époque où la transsexualité n’existait pas», explique le cinéaste. Sébastien Lifshitz évoque sa rencontre avec Bambi : «J’étais alors en pleine préparation des « Invisibles ». Bien sûr j’ai tout de suite pensé intégrer Bambi dans mon film. Mais je me suis ravisé. C’était quelqu’un de connu et non une anonyme comme tous les autres et puis la question de l’homosexualité n’a rien à voir avec celle de la transsexualité. L’homosexualité touche à la sexualité, la transsexualité, la question de l’identité. Un autre aspect a été déterminant. Bambi a très tôt acheté une caméra Super 8 et filmé des moments de sa vie. Pour un cinéaste ça créé d’emblée l’évidence d’un film.»
«Bambi a été professeur de français avec l’envie de transmettre une langue irréprochable, élégante, nourrie de vocabulaire. Elle a le sens du romanesque, de la mise en scène… Avant de faire le film, elle a écrit un livre sur sa vie, elle avait donc déjà formulé les choses dans sa tête. Mon rôle a été de la faire sortir de ce discours réglé. Il fallait qu’elle perde un peu le contrôle. Ce qu’elle déteste. J’ai donc créé des situations pour provoquer des émotions, à l’image de ce moment où elle retourne à l’endroit même où était le garage de son père à Alger. Elle n’y était pas retournée depuis près de 50 ans.»(2)
Jérôme Gac
« Les Invisibles » à 19h00, « Bambi » à 21h00, mercredi 18 juin,
à La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
(1) telerama.fr (27/11/2012)
(2) L’Express (20/06/2013)
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photo: S. Lifshitz © Ian Gavan / Getty Images