Le Théâtre clôt sa saison lyrique avec cet ouvrage de Richard Strauss, une Daphné de plus parmi les dizaines d’ouvrages qui ont pu s’appuyer sur ce mythe bien connu, tiré des Métamorphoses d’Ovide, la transformation, voulue par Zeus, de Daphné en laurier afin que la belle nymphe puisse ainsi échapper aux étreintes d’Apollon. Daphné fut d’abord Dafné de Jacopo Peri, en 1598, œuvre considérée comme le premier opéra, suivie de celle de Caccini en 1600. C’était les premiers soubresauts de l’opéra baroque.
Comme d’autres opéras de Richard Strauss, Ariane à Naxos, Elektra, L’Amour de Danaé, Hélène d’Egypte, Daphné puise ses sources dans l’histoire de la Grèce antique. Résumons l’histoire rendue ici sous la forme d’une tragédie bucolique en un acte de plus de cent minutes : Daphné, fille du dieu des fleuves Peneios, est une jeune chasseresse d’une très grande beauté, préférant aux hommes qui la convoitent, le culte de Diane et de la nature où elle aime à se promener. Daphné est une vierge réfractaire, plus intéressée par sa liberté et la nature qui l’entoure, indifférente au désir des hommes. Sa sensualité, si elle existe, est enfouie, secrète, subtile, voire ambiguë, d’où la difficulté du rôle et surtout de l’adéquation du chant et du timbre avec le caractère de la demoiselle. Chantre de la voix féminine dans tous ses registres, ne se lassant pas de glorifier la femme, le compositeur a souhaité une voix de soprano qui devra avoir bien des qualités, une sorte de condensé de tout ce qu’il a pu en exiger dans différents ouvrages passés, de Salomé à La Maréchale, en passant par Arabella, L’Impératrice, Ariane,… Surtout pour la somptueuse scène finale, dans laquelle son chant, d’abord immense et tragique, devient peu à peu éclairs de voix, simple balbutiement, enfin musique pure, à mesure que la métamorphose fait son œuvre et que la jeune nymphe se transforme en laurier. Claudia Balairsky relève ce défi.
Elle a deux prétendants, empressés : Leukippos, l’ami d’enfance, fou amoureux d’elle, et le dieu Apollon qui, dès qu’il l’aperçoit, se met lui aussi à la désirer ardemment. Cependant, aucun d’eux n’obtiendra ses faveurs. Fou de jalousie, Apollon tue son concurrent Leukippos, puis, conscient de sa faute et désireux de se racheter, demande à Zeus de transformer Daphné en laurier. Bizarrement, les deux rôles sont donnés à des ténors, une tessiture qui n’est pas particulièrement prisée par le compositeur qui n’a guère écrit, jusqu’à présent, des pages “phare“ pour eux. Là, la tâche est rude pour les deux. L’objet de leur désir se refusant, comme des oiseaux en parade nuptiale, mais en mal de plumes chatoyantes, crêtes, aigrettes et roues et autres signes apparents, ils ne leur restent plus qu’à éblouir par le chant celle qui reste sourde à leur élan. Le dieu Apollon se devant de dominer le berger Leukippos, le ténor assumant le rôle aura la tâche encore plus lourde.
Mais, si Daphné est rarement donné sur les scènes lyriques, c’est plus par la difficulté de réunir un plateau vocal acceptable que pour les reproches souvent adressés au livret de Josef Gregor, ami de Sweig, lequel fut contraint par Strauss de revoir plusieurs fois sa copie. En effet, le librettiste attitré du compositeur, Hugo von Hoffmannstal, meurt en 1929 sans voir sur scène sa dernière collaboration avec le musicien, la comédie lyrique Arabella. Et quant à Stefan Zweig lui succédant, il eut juste le temps d’écrire le livret de La Femme Silencieuse (1935) et voir sa création boycottée, avant de fuir le nazisme. Gregor signera également ceux de L’Amour de Danaé et de Friedenstag (Jour de Paix).
Quant à la musique, tout mélomane s’accorde pour qualifier ces pages d’extraordinaires, de somptueuses, l’accord parfait entre notes et mots. Pour la défendre et défendre cette nouvelle production, nous aurons au pupitre Hartmut Haenchen qui fut acclamé sur cette même scène dans Tannhaüser. Un chef qui s’est encore distingué tout récemment ailleurs dans la direction d’un Parsifal et d’un Lady Macbeth de Mzensk.
L’irlandais Patrick Kinmoth, designer, concepteur, directeur d’opéra, créateur de costumes, et metteur en scène ! est en charge de celle-ci, mais aussi des décors et costumes, assisté de Zerlina Hughes pour les lumières, et de Fernando Melo pour la chorégraphie. Sa ligne de conduite : « Je ne suis pas quelqu’un qui veut salir par mon ego toute la musique du compositeur de l’ouvrage dont j’ai la charge. Je veux simplement aider le public à comprendre exactement ce qui se passe sur scène et pourquoi cela se produit ».
Une démarche dont on ne peut qu’applaudir la louable intention, enfin, c’est un avis tout à fait personnel.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
du dimanche 15 au dimanche 29 juin