Chère Isabelle
Tu m’as ouvert les portes du Théâtre de Marionnettes, cet art très ancien que tu maitrisais à merveille, quand je faisais mes premiers pas dans le spectacle vivant. Je me souviens en particulier, comme si c’était hier, de ces représentations dans la cour du Château comtal, lors du 1° Festival de Carcassonne en 1973, quand ce n’était pas encore une grosse entreprise, à l’invitation de Monsieur Jean Deschamps (cette année-là, j’ai pu faire jouer Magma dans le Grand Théâtre de Cité!). J’ai eu la grande joie que tu me confies le projecteur de poursuite, pour le Marchand de Sable, quand le Théâtre de la Cavale s’appelait encore Caroube, Théâtre du Bateleur, le premier nom de notre métier de saltimbanques. Après, nous nous croisions souvent sur les routes du spectacle vivant, et même dans le métro parisien, tout à fait par hasard; mais y a t’il un hasard ? Et c’était toujours un plaisir partagé: ta générosité et ton enthousiasme irradiaient ceux qui t’approchaient. Avec toi, c’était toujours le Printemps de l’Imaginaire!
Tu étais la Dame des Marionnettes: avec toi, elles ont cavalé sous toutes les latitudes, de l’Ariège des Pyrénées cathares au Brésil et au Mexique, du Collège de la Salle pendant le Festival d’Avignon à l’Hôpital Necker de Paris, soulevant des torrents de sourire, de rire et d’émotion; et pas seulement chez les Petits.
Tes marionnettes que tu créais de tes mains d’artisan, tes mains de noblesse, souvent avec Pierre, que tu manipulais avec amour avec Fabrice et Jacky, étaient très belles; pour moi, comme pour beaucoup d’enfants, elles étaient vraiment vivantes: il ne leur manquaient même pas la parole! Car tu leur prêtais la tienne.
Adèle, j’ai toujours su que c’était toi, dans tes jardins secrets, avec son cher Clément, le crapaud facétieux, que tu viens de rejoindre avec tous vos copains et copines marionnettes. Celles qui étaient dans ta magnifique exposition, Un ange passe, et toutes les autres que tu gardais tendrement dans ta thébaïde d’Artigat, même quand elles étaient à la retraite.
Merci pour ces générations d’enfants émerveillés, y compris les miens, et en particulier ceux que tu venais régulièrement faire rêver tous les mois, avec Fabrice, à mon invitation et à celle des Soignantes, à l’Hôpital des Enfants; ces enfants qui sont orphelins de tes rêves aujourd’hui.
Maintenant que tu me précèdes là-haut, j’ai envie de chanter pour toi la chanson que j’ai écrite pour mes fils, quand ils étaient petits: il s’agissait de Peter Pan, mais finalement, cela te va bien.
Au Pays de l’Imaginaire, les enfants
Jamais, oh jamais, ne deviennent des grands.
Je suis l’enfance, je suis la joie,
Je vole comme les sauvages oies;
Je ne suis pas un elfe, ni un farfadet,
Mais un enfant qui pour toujours s’est évadé.
Au Pays de l’Imaginaire, les enfants
Jamais, oh jamais, ne deviennent des grands.
Arrivederci, chère Isabelle, Dame Marionnettiste.
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
Née le 3 septembre 1949, Isabelle Paget, comédienne-plasticienne, créatrice manipulatrice de marionnettes, fondatrice et animatrice du Théâtre Caroube, puis de celui de la Cavale, s’est éteinte le mardi 27 mai 2014. Elle figure au catalogue général de la Bibliothèque nationale de France; et demeure dans le cœur de ses nombreux amis.