Représentations du 17 et du 24 juin
Il est des productions qui vieillissent, très vite, et d’autres qui “tiennent le coup“ avec bonheur. Il en va ainsi de celle conçue par Pierre Constant en 1995, pour l’Atelier de Tourcoing, et qui semble ne pas avoir pris une ride. Le metteur en scène a décidé en son temps d’un espace unique pour la trilogie Noces, Don Juan et Cosi, cherchant à découvrir ce qui leur est commun, cette « gémellarité tripartite »qui les unit. Ainsi, dans cet espace qui sert d’écrin à la musique, retrouve-t-on un décor au service de l’œuvre, du compositeur et des interprètes. Jusqu’au cageot d’oranges ou bien le matelas, élément d’un véritable huis-clos, carrefour des désirs, où la lumière joue un rôle essentiel. On entrevoit toujours le ciel d’un bleu implacable au travers des persiennes à demi-fermées. Totalement partie prenante, les éclairages de Jacques Rouveyrollis sont remarquables à souhait. Du décoratif, mais sans trop, plutôt de l’intemporel, ce qui permet à Pierre Constant d’insuffler énormément de force à la composition de ses interprètes les poussant à offrir le maximum de leurs possibilités. Nous avons ainsi un remarquable plateau, de comédiens d’abord, mais ce qui ne gâche rien, un remarquable plateau de chanteurs. Un Cosi où les différents protagonistes sont d’allure tout à fait crédible, avec une restriction pour Don Alfonso que l’on aurait souhaité plus…mûr, ou plus sardonique au bilan afin de faire un pendant plus mordant face à une Despina d’une très grande efficacité tant dans le chant que dans le jeu.. Dans la fosse, surélevée, le chef Attilio Cremonesi est toujours à l’écoute des chanteurs et, plus généralement, de tous les évènements du plateau, avec une direction vive, sans être précipitée.
Dans cet opéra « plein de désir et de sexe », Guglielmo (un Alex Esposito, acteur accompli, magnifique d’allure et de chant), et Ferrando (Saimir Pirgu, idéal interprète du plus charmeur des emplois de ténor mozartien) sont deux amants parfaits dans la démarche : « tous se désirent, tous trahissent, tous mentent ». Avec chacune leurs qualités, très séduisantes au demeurant, les deux sœurs, Dorabella (la mezzo Roxana Constantinescu), la moins farouche, et Fiordiligi (la soprano Marie-Adeline Henry, d’une très grande assurance dans ses deux redoutables airs) la plus rétive, au départ, ne sont pas en restent dans cette œuvre qui n’est sûrement pas une tragédie, mais qui n’est pas dépourvue de violence non plus, Pierre Constant s’attachant à le prouver dans les scènes de séduction comme dans le tableau final.
L’ensemble de la production nous a fort bien rendu l’idée que dans Cosi fan tutte, « il y a tellement de sourires – doux, burlesques, – mais, à la fin, il y a la pitié pour nous, pauvres marionnettes, qui récitons l’amour avec une relative sincérité. A la fin, les rôles sont toujours inversés. Ce jeu qui est le propre à la nature humaine, Mozart l’a pris et l’a mis en lumière d’une manière cruelle, ridicule et compatissante en même temps. »
Ainsi, sont respectés à la lettre ces quelques mots du compositeur : « Quels pauvres et ridicules choses sommes nous, les êtres humains, quand nous aimons.»
Michel Grialou
(Retrouver l’annonce du spectacle signée de votre aimable serviteur)