Odyssud accueille à Blagnac « Cyrano de Bergerac » avec Philippe Torreton, dans une mise en scène de Dominique Pitoiset déjà présentée à Bordeaux où son mandat de directeur du Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine vient de s’achever avec panache.
Quel culot, ce Pitoiset : avoir transposé « Cyrano de Bergerac » dans un hôpital psychiatrique ! Tel est le pari, l’audace qui déroute au premier abord puis séduit et prend tout son sens au fur et à mesure de la pièce. Sur un plateau carrelé de blanc, avec à jardin un juke-box qui diffusera les chansons de la bande-son et à cour un évier et une table à repasser, nous devinons assis de dos, mal en point, dans un fauteuil, celui qui s’avère être le mousquetaire gascon, et dont le crâne rasé laisse voir une blessure : cette plaie apparaissant au dernier acte…
La salle commune à l’éclairage blafard vient se remplir de patients aux pathologies diverses, dont la dégaine laisse deviner leur triste état mental. Nous les reconnaissons alors petit à petit, tous ceux qui viennent se pencher sur l’homme au crâne rasé : ce sont les Cadets, Roxanne, Christian, le comte de Guiche, Le Bret, De Valvert, Ragueneau, etc. Alors, comme dans un long flash-back, nous voici embarqués dans une épopée et une tragédie amoureuse où des fous, emmenés par un autre fou qui se prendrait pour Cyrano de Bergerac, se joueraient la comédie. Pour exister, pour le panache et parce que la vie est trop triste. Après tout, nous sommes bien au théâtre !
Après tout, Cyrano n’a cessé toute sa vie d’imaginer être un autre, un plus beau, être aimé, lui, le poète, le dramaturge, à qui Molière vole les répliques. Ce provocateur excessif et exigeant a l’élégance des «beautiful loosers» qui finissent seuls par volonté farouche d’indépendance et refus de compromission. Pour incarner une telle élégance, Pitoiset a confié le rôle-titre à Philippe Torreton. Affublé de ce célèbre appendice qui le défigure, la lèvre surlignée d’une moustache tombante, vêtu d’un marcel et d’un survêtement, il est ce personnage complexe, à la fois pathétique, courageux, hâbleur, romantique, ridicule, intransigeant. Torreton lui prête sa palette subtile de jeu, sans jamais tourner à la démonstration d’acteur. Il fait de Cyrano un homme émouvant, séduisant, attachant, terriblement humain. Tragiquement humain.
Si ce Cyrano-là a tout du bipolaire, passant soudainement de la mélancolie à la bravoure, son entourage est tout aussi déjanté : c’est Roxane qui joue à la princesse dans sa robe rose Barbie, ou de Guiche en érotomane aux accès de colère empruntés à Mel Brooks ou à Louis de Funès. Maud Wyler, Daniel Martin, Jean-Michel Balthazar, tous portent superbement le texte, sans faillir, nous emmenant sur des registres de bouffonnerie et de tragique, de comédie et d’épique.
La mise en scène de Dominique Pitoiset est vive, inventive, judicieuse et joue avec l’air du temps : les chansons des Pogues, de Queen, d’Elton John, de Bashung rythment les actes, et le recours à skype via un Ibook devient un moyen tout à fait moderne de déclarer sa flamme dans la célèbre tirade du balcon… Jusqu’à la scène finale où la boucle est bouclée : blessé à la tête, Cyrano arrive à l’asile pour visiter Roxane habillé en… Cyrano, avec cape, culottes bouffantes, chapeau plumé et guêtres. Comme si se révéler sous le déguisement était plus aisé. Derrière le masque, la déchirure : toute une vie à aimer dans l’ombre… Torreton atteint des sommets de justesse. Le spectateur lui, retient son souffle ou ses larmes. L’émotion est à son comble. C’est ce qu’on appelle un théâtre qui a du panache !
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Jusqu’au 12 avril, 20h30, à Odyssud, 4, avenue du Parc, Blagnac.
Tél. 05 61 71 75 10.
Du 7 mai au 28 juin, à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris.
Tél. 01 44 85 40 40.
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photo © Brigitte Enguerand