Les folles journées de Toulouse
Il était presque 21 heures ce dimanche soir, quand les dernières notes de la cantate Bwv 95 de Bach se sont éteintes ce dimanche à la Cathédrale Saint-Aubin. Michel Brun, le démiurge responsable de ses folles journées avec sa valeureuse troupe de musiciens et bénévoles tous passionnés au-delà de toute raison raisonnante, pouvait, exténué et heureux se tourner vers le public pour le remercier de sa fidélité, et constater que sa totale utopie de faire vivre pendant deux jours un véritable marathon Bach à Toulouse, sans beaucoup d’aides ni de compréhension de la part des institutions, devenait une réalité incontournable, et soulevait une réponse enthousiaste du public de plus en plus nombreux chaque année. Sans doute au moins 20 000 personnes cette édition. L’avalanche de la ferveur ne fait que commencer et son vacarme finira bien par atteindre certaines oreilles incrédules.
On s’extasie avec juste raison sur le succès des folles journées de Nantes sous la houlette de René Martin, bien aidé par les politiques et les sponsors et par son grand talent bien sûr, on devrait tout autant se glorifier de ces journées ferventes et magiques que nous offre avec quatre bouts de ficelle et tant de générosité, l’archet sur le cœur, le souffle vers les cieux, et de compétence émerveillée et joyeuse, l’équipe de ce festival sans rouleau compresseur médiatique, sans star-system et qui nous entraîne dans une cavalcade baroque. De lieux en lieux partout éclatent des notes, des rencontres musicales imprévues, des sourires de joie et de paix. Cette houle de gens, enfants et adultes mêlés, déferlait faisant de Toulouse une fête. tant et tant qu’il a fallu refuser du monde parfois, et redonner la cantate BWV 95 de clôture deux fois, devant les centaines de personnes restées à la porte du ciel.
Voir les rues de Toulouse peuplées d’instrumentistes et de « marathoniens » se précipitant de salles en salles pour célébrer la gloire du père Bach, de ses enfants, de ses amis, c’est cela vraiment Toulouse en piste. En piste pour l’exigence et l’intelligence, loin de toute démagogie, de tout racolage.
On se sentait heureux de vivre alors dans cette ville, parfois si souvent décevante culturellement par manque d’ambition et de partage réel des décideurs.
« S’il y a bien quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu ». (Cioran Syllogismes de l’amertume). À notre modeste échelle nous aussi sans doute et cela grâce à un intercesseur illuminé et fraternel, Michel Brun et son Ensemble Baroque de Toulouse.
De ce tourbillon il se mélange bien des musiques et des souvenirs, sachant que bien des merveilles n’auront pas pu être entendues.
Choisir c’est renoncer, aussi notre riche moisson, sans doute injuste aura engrangé ces quelques moments forts parmi tant d’autres.
À l’église Saint-Pierre des Chartreux son orgue de style français restauré en 1982, permettait de suivre les volutes de Bach et de Nicolas de Grigny et les Sacqueboutiers permettaient de déchiffrer la science des nombres dans les canons de l’Art de la Fugue, Les Variations Goldberg, L’offrande Musicale.
Le maître Marc Vignal, celui qui dès 1966 nous fit comprendre Mahler, Sibelius, Haydn, nous parla des quatre fils musiciens de Bach. C’était intimidant de revoir cet homme auquel on doit tant et qui nous aura marqués à jamais. Une légende parlait devant nous, simplement, avec humour, avec science.
Dans la très bonne acoustique de Saint-Pierre des Cuisines les six concertos pour clavier de Bach furent joués par six pianistes distincts, avec une mention spéciale pour Nicolas Mallarte, stupéfiant de grâce et de jeu aérien. Et Laurent Molines avait lui construit un programme fascinant en écho des Préludes de Bach et de Chopin, ouvrant bien des portes dérobées.
Mais le grand choc de tout le festival fut la première à Toulouse de la messe Omnium Sanctorum, sa sixième messe pour les messes dites ultimes écrites dans les années, 1740/1741, de Jan Dismas Zelenka (1679-1745). Cette longue œuvre en 15 parties, pour quatre solistes, chœur et orchestre déborde de beautés et laisse pantois. Comment avons-nous pu ignorer une si belle musique ? Dans le cadre de l’Hôpital de la Grave un mystère semblait se dérouler et quand tard à la fin la partition de Knut Nysted, Immortal Bach, s’éleva la musique rejoignit les étoiles.
Il faut aussi mentionner la Suite de Telemann, l’ardente interprétation du Cinquième concerto Brandebourgeois avec la sublime cadence de Yasuko Bouvard, la belle dentelle subtile tissée par Céline Frisch autour de Froberger, Buxtehude et Bach.
Et aussi parler de la frustration de n’avoir pu entendre Quinte et Sens, Didier Labbé, L’offrande Orientale, le concerto pour violoncelle de C.P.E Bach…
De ces deux folles et belles journées il reste des notes tournoyantes dans la tête, la joie de partager ces heures simples et profondes, colorées et chatoyantes, les courses folles d’un endroit à l’autre, les visages reconnus d’un concert à l’autre, la qualité de l’organisation.
Il reste surtout l’admiration envers ceux qui autour du grand horloger de ces musiques ont su illuminer ces jours.
Merci Michel Brun et à tous !
À l’année prochaine si Bach le veut.
Gil Pressnitzer