Des Amériques à l’ivresse du pouvoir
La direction bicéphale du TNT, Agathe Mélinand et Laurent Pelly, entament leur quatrième saison, celle de 2011/2012, et ils s’enorgueillissent des glorieux résultats déjà engrangés : 90 000 spectateurs dont 10 000 abonnés pour plus de 238 levers de rideau pour 36 spectacles.
Si l’on doit juger avant tout un Centre Dramatique National sur ses créations le bilan est plus mitigé car Laurent Pelly semble s’investir plus avant dans ses remarquables mises en scène d’opéra que dans celles proprement théâtrales qui, seulement à notre goût, pourraient paraître un peu en surface (Ainsi Funérailles d’hiver d’Hannok Levin méritait un bien meilleur sort). Mais une saison c’est aussi des spectacles invités.
Essayant d’établir une cohérence de programmation à partir de thématiques que les deux directeurs ont retenu pour cette saison. Deux fils rouges, deux regards : Nos Amériques et L’ivresse du pouvoir et d’ailleurs certaines corrélations pourraient exister entre ses deux thèmes si l’on se réfère à l’histoire.
La programmation proposée continue à se baser sur des fidélités. Celle envers l’Atelier Volant, pôle d’insertion professionnelle de comédiens propre au TNT. Celle envers d’artistes invités que l’on retrouve presque à chaque saison : Pierrick Sorin et son univers plastique particulier, Jean Bellorini remis de ses Misérables et voguant vers les paroles gelées de Rabelais, Bérangère Vantusso et ses marionnettes qui nous font parfois douter de notre identité humaine surtout dans Violet sur un texte de Jon Fosse, écrivain norvégien révélé en France par Claude Régy, Emmanuel Daumas, Grand Magasin, Aurélien Bory et son chapiteau en abyme.
Au lieu d’énumérer toute la saison où Shakespeare sera présent par trois pièces (Macbeth mis en scène par Laurent Pelly qui devra oublier Verdi, Othello par le dérangeant et prodigieux directeur de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier, Roméo et Juliette par le fantasque et délirant Olivier Py) parlons de nos coups de cœur incontournables :
– Väter par le théâtre de Riga sous la direction d’Alvis Hermanis qui nous avait donnés la saison dernière l’inoubliable Sonja, grand choc de l’année passée.
– A louer par la compagnie flamande basée à Bruxelles, de comédiens danseurs du Peeping Tom dont le souvenir du 32 rue Vandenbranden nous secoue encore.
– Pippo Delbono dans Dopo la bataglia qui ne saurait nous décevoir tant est grande sa personnalité et la qualité de son écriture.
– Un mage en été où le texte superbe d’Olivier Cadot mis en scène par Ludovic Lagarde sera sans doute un grand moment.
– Le merveilleux lutin Jean-François Zygel, qui est la grâce musicale incarnée, retrouvant sa terre d’élection : l’accompagnement de chefs d’œuvres de Friedrich Murnau (Faust, Nosferatu, Le dernier des hommes, et « le plus beau film du monde » L’aurore).
– Aussi ce magnifique hommage à l’un des plus grands poètes espagnols, Miguel Hernandez (1910-1942) mort dans les geôles de Franco, dans le spectacle Viento del Pueblo de notre cher Vicente Pradal. Hernandez venu du peuple a chanté mieux que tous les chants rugueux de la terre. Merci à l’ami Pradal de se battre pour la reconnaissance de ce paysan-poète, jardinier des mots et du sol de sa patrie.
– Jean-Quentin Châtelain acteur habité dans Ode Maritime de Pessoa revient dans la cruelle Lettre au père de Kafka.
Autant de coups de cœur à ne rater sous aucun prétexte justifient déjà toute une saison.
D’autres moments sont programmés : un hommage au sulfureux Tennessee Williams qui tient tant à cœur à Agathe Mélinand avec quatre nouvelles, et l’une de ses dernières pièces Vieux Carré au lyrisme érotique détonnant. De la danse avec Akram Khan, et également l’incontournable Jean Genet ses Bonnes et ses Nègres, des spectacles pour enfants dont L’Ogrelet est écrit par Suzanne Lebeau, grand auteur québécois qui a choisi de se vouer au jeune public
D’autres figures vont aussi habiter la scène : Solange Oswald et la reprise de La Mastication des Morts, Marilyn Monroe alias Norman Jean par John Arnold, et bien d’autres spectacles fort divers.
Enfin dans les rêves égoïstes d’Agathe Mélinand semble trôner parfois le kitsch et Natacha Atlas en est l’illustration doucereuse.
Tout cela fait une offre diversifiée de 31 spectacles et dont les attraits supplémentaires résident dans la tarification abordable et les nombreuses actions en direction du public, spécialement des jeunes, qui sont plus que louables.
Gil Pressnitzer