Première irruption d’Yves Noël Genod à Toulouse, avec une lecture de « la Confession d’un enfant du siècle » de Musset et une performance accueillies au Théâtre Garonne, dans le cadre du rendez-vous In Extremis.
Avec sa gueule mi-ange mi-démon, sa ressemblance frappante avec Iggy Pop période Stooges, son look glam-rock et sa haute stature effilée, Yves-Noël Genod dégage un magnétisme troublant qui séduit autant les femmes que les hommes. Sa voix, douce et profonde, à la fois suave et amicale, vous donne le sentiment d’approcher un être irréel avec qui, pourtant, on se sent immédiatement bien. YNG est un mystère. Artiste prolifique, il a déjà créé en dix ans plus de trente cinq spectacles. Il travaille avec des comédiennes reconnues comme Valérie Dréville et Jeanne Balibar, avec des artistes-performeurs à la marge comme Jonathan Capdevielle ou l’incroyable et débridée Marlène Saldana.
YNG est polymorphe. Il cherche, innove, prend des risques. Peu importe que cela s’appelle théâtre, danse, one-man-show, après-midi littéraire… Qu’il soit acteur, danseur, performeur, metteur en scène, amoureux des belles lettres, etc. la quête de Genod est avant tout de créer du vivant face à ses spectateurs. Cette star des milieux théâtraux contemporains est pourtant méconnue d’un large public. Sous contrat avec les Bouffes du Nord, il est invité au Théâtre du Rond-Point et à la Ménagerie de Verre – où il vient de créer « Un petit peu de Zelda ».
YNG est imprévisible. On l’a vu dans le In du festival d’Avignon avec « la Descendance ». Puis, en solo dans le Off, où il se faisait l’exégète du poème de Shakespeare « Vénus et Adonis », jusqu’à créer l’été dernier l’«out» du off, avec « Disparaissez-moi », une proposition de lecture de « la Confession d’un enfant du siècle » d’Alfred de Musset. Artiste SDF, sans salle de spectacle, il arpentait alors la Cité des papes en quête de lieux cossus, appartements bourgeois ou salons d’hôtels élégants propres à accueillir sa prestation, dans un désir de proximité intimiste avec un public restreint, façon cercle de lectures du XIXe siècle. Ainsi invisible du grand marché du théâtre avignonnais, où tout le monde cherche à être vu, repéré, acheté, le Dispariteur – nom de sa compagnie et de son blog – en était d’autant plus désiré.
Cet été-là, on pouvait le voir surgir soudainement au coin d’une rue en tee-shirt lamé, se glisser entre les tables des cafés bondés, à la rencontre de ses potentiels spectateurs, pour offrir à chacun ce précieux cadeau. Cadeau pour ceux qui ont eu la chance de le croiser au hasard des rues, à la sortie d’un spectacle, ou dans un restaurant, et d’appeler son numéro de téléphone portable pour connaître le lieu et l’heure du rendez-vous. Alors, dans un cadre paisible, hors du temps, loin de l’hystérie du festival, conscientes de leur privilège, quinze personnes réunies par le hasard, formant son auditoire hétérogène, écoutaient assises en cercle et captives cette voix délicate leur lire le deuxième chapitre de l’unique roman de Musset : le portrait sombre et violent d’une génération de jeunes gens en souffrance, abandonnés par l’espoir des grandeurs napoléoniennes. D’une présence et d’une nonchalance élégante, dans son smoking noir, baguenaudant dans sa lecture, il s’arrêtait ici et là pour lire une note, citer, l’air complice, Marguerite Duras, Louise Bourgeois, Chateaubriand, évoquer sa grande copine Jeanne Balibar ou encore Claude Régy, son premier maître.
YNG a l’art sublime de l’improvisation. Ses performances sont des expériences humaines fortes, déroutantes, faites avec très peu d’argent mais tissées d’une poésie inédite, personnelle, et d’une liberté folle qui aime flirter avec l’aléatoire. Le public ne s’y trompe guère qui se laisse embarquer à bord d’une aventure où sincérité rime avec fascination, et chaos avec grâce. YNG est gai. Et les titres de ses spectacles sont délicieusement drôles : « En attendant Genod », « Pour en finir avec Claude Régy », « Jésus revient en Bretagne », « Je m’occupe de vous personnellement ». Au Théâtre Garonne, il présentera « Disparaissez-moi » d’après Musset, puis « l’Invention de la course à pied (et autres trucs) » d’après le récit de Jean-Michel Espitalier. Ce sera dans le cadre du rendez-vous In Extremis, un terme qui lui va comme un gant.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
« Disparaissez-moi », du 10 au 12 janvier et du 21 au 23 février, lieux et horaires précisés lors de la réservation (entrée libre). Tél. 05 62 48 54 77.
« L’Invention de la course à pied », jeudi 20 février, 21h30, au Théâtre Garonne, 1, avenue du Château d’eau, Toulouse. Tél. 05 62 48 54 77.
photo: Y.-N. Genod © Patrick Laffont