13 décembre à la Halle, c’est immersion totale dans la musique française de l’ONCT, placé sous la direction d’Alain Altinoglu, le chef d’orchestre sur lequel il faut dorénavant compter et que l’on retrouve de plus en plus fréquemment sur les estrades les plus prestigieuses que ce soit pour les concerts ou dans la fosse pour les opéras. A l’affiche aussi, un élément de la génération montante des pianistes français, Romain Descharmes qui interprètera le plus connu des concertos pour piano de Saint-Saëns, le numéro 2 en sol mineur, op.22.
Enfin, pour l’intervention particulière du chœur dans le Daphnis et Chloé, c’est l’ Orféon Pamplonés qui officie, l’une des plus anciennes et prestigieuses institutions d’Espagne que Maurice Ravel lui-même dirigea en 1928 dans Trois chansons : Nicolette, Trois beaux oiseaux du paradis et Ronde.
Sur Daphnis et Chloé, d’une durée d’environ cinquante minutes
Musique de ballet pour orchestre et chœur ou, Symphonie chorégraphique en trois parties. Rarement donnée complète mais plus souvent sous forme de Suite pour orchestre.
La nomenclature orchestrale est impressionnante, sans commune mesure avec un effectif de musique de ballet habituelle, et mérite fortement d’être détaillée : 1 petite flûte, 2 grandes flûtes, 1 flûte en sol, 2 hautbois, 1cor anglais, 1 petite clarinette en mi bémol, 2 clarinettes en si bémol, 1 clarinette basse en si bémol, 3 bassons, 1 contrebasson. C’était la liste des bois ou vents sollicités.
4 cors en fa, 4 trompettes en ut, 3 trombones, 1 tuba.
Timbales, caisse claire, castagnettes, crotales, cymbales, héliophone ou éoliphone (machine à vent !), grosse caisse, tambour, tambour de basque, tam-tam, triangle, célesta, timbres, xylophone. Et 2 harpes
Quintette à cordes avec contrebasse avec ut obligé.
Lors de l’exécution du ballet, petite flûte et petite clarinette devaient se trouver sur la scène, cor et trompette derrière la scène.
Attention, les chœurs restent en coulisses, normalement (sopranos, altos, ténors et basses) !!
Un peu d’histoire, et d’anecdotes ! Daphnis et Chloé, une œuvre de Maurice Ravel, inséparable de l’histoire des Ballets Russes de Serge de Diaghilev.
Chef-d’œuvre de Maurice Ravel, et chef-d’œuvre “symphonique“ du XXe siècle, Daphnis et Chloé ne fut créé qu’après une interminable succession de retards d’où résultèrent de nombreux malentendus, complications et difficultés entre le compositeur et le Directeur des Ballets Russes Serge Diaghilev, le célèbre impresario, les deux mis en contact par Dimitri Calvocoressi, intermédiaire, critique et interprète. Ravel écrivit, à ce sujet, dans son esquisse biographique :
« Daphnis et Chloé, symphonie chorégraphique en trois parties, me fut commandée par le Directeur des Ballets russes … Mon intention était de composer une vaste fresque musicale, moins fidèle à l’archéologie qu’à la Grèce de mes rêves qui ressemblait à celle qu’ont imaginée et dépeinte les artistes français de la fin du XVIIIe. Cette œuvre est construite symphoniquement mais le plan tonal est strictement limité par l’emploi d’un très petit nombre de thèmes dont l’élaboration assure l’homogénéité de l’œuvre. Esquissé en 1909, Daphnis a été remis sur le métier à diverses reprises, notamment le final. »
Sans erreur de date de la part du compositeur, Diaghilev lui aurait donc commandé la partition de Daphnis et Chloé pendant que se donnait à Paris une série de concerts historiques de musique russe. Fin 1909, l’œuvre était suffisamment avancée pour que Diaghilev, certain de pouvoir la présenter pendant la saison suivante, se risquât à inclure, dans son contrat avec sa danseuse étoile Karsavina, une clause stipulant qu’elle devait danser Chloé en alternance avec la “coqueluche“, LA Pavlovna. Mais, Ravel a pris du retard. Il faut attendre 1912 pour que la partition arrive sur le bureau de Diaghilev, tout prêt à renoncer à produire cette œuvre – L’Après-midi d’un faune de Claude Debussy est en concurrence sérieuse, l’accapare, lui et tout son petit groupe autour -. Concurrence salutaire car, les trois derniers numéros du ballet vont témoigner de ce sursaut tardif, infiniment plus développés et soignés que tout ce qui les précède dans la partition.
En outre, la “Grèce de Ravel“ semble n’avoir aucun rapport avec la Grèce “archaïque“ des dessins de Léon Bakst, décorateur de ballets, « poète autant que peintre ». Difficile au final de dire, qui du musicien, qui du peintre, avait le mieux compris l’esprit de l’écrivain grec Longus, l’action se passant à Lesbos !
Le chevrier Daphnis est l’amoureux comblé de la nymphe Chloé. Cette dernière est enlevée par des pirates.
Daphnis se contenterait de sangloter si trois nymphes ne l’encourageaient pas à implorer l’intervention du dieu Pan.
Des fanfares nous annoncent le changement de tableau : danses démoniaques des pirates autour de la pauvre éplorée. Danse guerrière.
Retour auprès de Daphnis qui se réveille aux premiers rayons de l’aurore. C‘est le début de la deuxième Suite.
Paraît Chloé, récupérée par Pan. Daphnis se taille une flûte dans un roseau et célèbre ses amours reconstituées. Progressivement, la scène a été envahie par les habitants de la contrée, lesquels s’élancent (à leur tour) dans la plus barbare des “danses générales“.
Une autre difficulté surgit. Ravel refuse d’accepter la chorégraphie de Michel Fokine, sous prétexte qu’elle ne rend ni ses idées, ni la structure musicale de sa composition. Il demande constamment de nouvelles modifications qui finissent par lasser. Le chorégraphe n’avait pas tous les torts car, malgré l’excellence de la musique éminemment « dansable » au départ, sur le papier, comme toutes les œuvres de Ravel si souvent inspirées par des airs de danse espagnols ou basques, la structure musicale de cette partition convenait particulièrement mal au ballet et offrait, pour le chorégraphe, des difficultés presque insurmontables.
Diaghilev hésite encore, l’éditeur de Ravel, Jacques Durand insiste et négocie, et l’emporte finalement, Diaghilev semblant conquis par le côté très frénétique et chorégraphique de la Danse générale finale. Mais l’histoire n’est pas terminée !… De violentes discussions vont s’élever au cours des répétitions entre l’auteur de l’argument, le chorégraphe, et, le principal soliste, un certain Nijinsky, discussions auxquelles participe évidemment le Directeur, Monsieur Diaghilev ! Tout cela en russe pour faciliter la chose. Des brouilles prennent corps, certaines définitives. Et tandis que les répétitions se poursuivent, l’atmosphère se charge de plus en plus de rancœur. Le final surtout, écrit à cinq temps, donne un mal inouï au corps de ballet. Cependant, au lieu de compter, et en substituant aux chiffres les syllabes « Ser-gei-Dia-ghi-lev », les danseuses finirent par comprendre le rythme !
Création de l’œuvre au Théâtre du Châtelet le 8 juin 1912 sous la direction de Pierre Monteux. Karsavina et Nijinsky tiennent les rôles principaux. Ce que Ravel avait prévu a bien eu lieu, à savoir, l’inadéquation entre les décors “archéologiques“ de Léon Bakst et le caractère résolument “moderniste“ de sa musique. Ravel avait-il anticipé ce semi-échec ? Il n’empêche que l’ensemble avait été conçu de façon à pouvoir en extraire, tel quel, l’essentiel rassemblé dans la seconde partie : ainsi, à ce qui devenait la “Première Suite“ pouvait succéder tout un final à 5/4 sur lequel le compositeur s’était acharné une année entière. Ce sera la “Deuxième Suite“ qui allait faire le tour du monde des salles de concert, jouée par toutes les phalanges les plus renommées. On précise bien que, contrairement à la “suite“ traditionnelle, il ne s’agit pas d’un montage d’extraits mais bien de pans entiers de la partition originale.
Le sous-titre de “Symphonie chorégraphique“ suggéré ultérieurement par Ravel ne laisse planer aucun doute : les vrais moments de danse sont en fait bien rares dans une œuvre qui semble s’ingénier au contraire à multiplier cortèges, interludes et tableaux symphoniques absolument “indansables“. Au delà de ce curieux assemblage, il reste l’attrait sonore irrésistible exercé par cette fresque sonore immense, servie par des moyens orchestraux luxueux et soigneusement étudiés, et plus encore par la présence d’un chœur mixte qui vient colorer et animer la masse instrumentale jusqu’à des paroxysmes tout à fait grisants. C’est donc une chance de pouvoir assister à la version intégrale, et avec chœur, chœur auquel Ravel tenait tant.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole de Toulouse
vendredi 13 décembre 2013
Halle aux Grains
Réservation
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