Comment mettre en scène ce livret à la fois indigent et abracadabrant où le deus ex machina règne en maître ? Éric Vigner choisit l’épure mais garde l’accessoire, éclipse la magie au profit d’une esthétique japonisante parfois belle, souvent illisible et vaine. Le fond de scène est nu, les feux de la rampe en néon, des panneaux de bambou font shoji, et des rideaux de perles montent et descendent, s’effondrant jusqu’au sol pour figurer une maison détruite. Le signifiant s’accroche aux cintres. Sur un smartphone géant s’affichent les surtitres (le spectateur épargne ainsi ses cervicales), mais aussi des séquences vidéo qui se répètent en boucle. À l’entracte, l’écran égrène l’heure pendant que les spectateurs lisent leurs mails sur le leur. Le baroque du XXIe siècle.
Les due sbirri de Zoroastro, jumeaux en lunettes et costumes noirs (Grégoire et Sébastien Camuset), scrutent la salle avec leur lampe phare. Ils ne traquent pas Cesare Angelotti jusque dans son puits mais lisent l’avenir dans les astres pendant que leur patron cherche l’inspiration magique dans son petit livre rouge. La magie générée par des gestes impérieux déclenche l’apparition de BB et ses fesses sur le smartphone géant (l’amour fait partie des effeminati sensi) cependant que les deux sbires miment gauchement un combat de boxe française (Va, combatti per la gloria) ; ou plus tard le vol d’une colombe censée apporter la liqueur guérisseuse, qui sera administrée par les sbires par voie intra-veineuse, boîte, seringue, aiguille et garrot bien désinfectés.
Un drôle de bracelet-manche lacé dont les franges forment un petit rideau de perles assorti aux grands, passe de bras en bras. Le manteau d’Angelica a un col à manger du Mont-Dore et la robe de Dorinda a une fâcheuse tendance à s’accrocher aux perles des rideaux – c’est heureusement la robe qui gagne après une bataille acharnée. Medoro a le bras en écharpe au premier acte, puis guérit subitement ensuite : magie ou réalité ?
On retiendra cependant les ombres, splendides et inquiétantes, créées par les lumières de Kelig Le Bars ainsi que les vagues tempétueuses des rideaux de perles : les sbires n’excellent que dans le rôle de truchements visuels et sonores.
C’est un Orlando (David DQ Lee) fatigué, déprimé, qui s’appuie sur une canne, mais qui se transcende dans des aigus aériens et sait reprendre avec aisance une voix de baryton pour atteindre les tréfonds de la partition. Le trio féminin (Adriana Kučerová – Angelica, Kristina Hammarström – Medoro, Sunhae Im – Dorinda) est beau et bien équilibré. Luigi de Donato peine dans les vocalises de Zoroastro et semble forcer pour passer la rampe. Le spectacle magique est dans la fosse, où la scansion des corps et les gestes enthousiastes de Jean-Christophe Spinosi, qui parfois appuie son coude gauche sur la rambarde en auditeur conquis par ses musiciens et chanteurs, font écho à la tempête et aux arie di furore. Splendide basse continue au violoncelle et au théorbe, dont on entend avec plaisir le délicat pincement des cordes.
Au rideau final quelques huées pour les sbires inélégants, vite effacées par un bis rock and roll du choral final où Orlando, la magie dans les veines, se défoule enfin en passant allègrement du registre de baryton à celui de contre-ténor.
Théâtre du Capitole, 16 novembre 2013
Une chronique de Una furtiva lagrima.