La Compagnie Française, qui vient d’ouvrir ses portes, se présente comme un « Caffé Ristorante ». Une comédie italienne aux prix plutôt salés.
Il n’aura échappé à aucun toulousain que la rue Alsace Lorraine en a fini avec les années de travaux illustrant involontairement le concept de « destruction des villes en temps de paix » de l’excellent Jean-Claude Michéa. Certes, le résultat est moche, l’artère évoque une sorte de galerie marchande à ciel ouvert, mais – en jetant un œil de Sioux sur les voitures, les nuées de divers deux roues (dont de redoutables vélibristes) et autres skaters – il est redevenu à peu près possible de se déplacer à pied normalement.
De fait, la rue reprend quelques couleurs, commerciales, notamment dédiées aux plaisirs de la bouche – activité pour le moins délaissée ici. Après l’ouverture en septembre de Sandyan, la pâtisserie de luxe de Yannick Delpech, le chef étoilé de l’Amphitryon à Colomiers, c’est au tour du mythique immeuble voisin de la Compagnie française de faire peau neuve en se transformant en restaurant.
Comédie italienne
A tenter. Voici une proposition que l’on ne peut pas refuser, comme on disait dans Le Parrain. On s’y rend dès le deuxième jour d’ouverture, à déjeuner, mais l’établissement a déjà été pris d’assaut et le fait de limiter la capacité d’accueil au début est plutôt de bon aloi. On réserve donc pour le lendemain. Une jeune fille puis un jeune homme s’occupe de nous avant que le chef de salle, à l’accent italien, ne prenne le relais. Il est 12h30, cela s’agite, bourdonne à la façon d’une ruche, avec ce crépitement qui fait le charme indépassable des brasseries.
Un autre serveur nous souhaite la bienvenue en italien. Langue qu’il maîtrise assez peu, selon son propre aveu, mais ce sont les consignes, dit-il. Il faut faire couleur locale. Ne sommes-nous pas dans un « Caffé Ristorante » ? On songe au majordome des Tontons Flingueurs interprété par Robert Dalban qui se donne des airs en parlant angliche : « Welcome Sir ! My name is John ! » Dans les amplis du Ristorante, Se Bastasse Una Bella Canzone d’Eros Ramazotti résonne. Andiamo ! Viva Italia !
Addition qui klaxonne
Une nouvelle jeune fille prend la commande. La carte propose des antipasti (de 9 à 14€), des pizzas (de 12 à 15€), des pâtes, des risottos, des poissons… On opte en entrée pour un Vitello Tonatto (tranches de veau froides servies avec une mayonnaise au thon et des câpres) qui passe de manière anonyme et rapide, tel une rame de métro. Ce n’est pas mauvais, mais il manque le petit coup de peps qui donnerait à ce classique transalpin un relief, un air venu du Piémont. Le pain, tendre et croquant, permet d’attendre le plat avec l’envie de passer aux choses goûteuses. Hélas, notre poulet – mollasson, fatigué – casse définitivement l’ambiance. Quelques ravioles qui l’accompagnent semblent désolées d’être là. On compatit. Nous aussi.
En face, le malheureux qui partage notre déjeuner ne s’en sort pas mieux. Son Saltimbocca (morceaux d’escalope de veau roulés avec jambon cru et feuille de sauge) est également exténué et n’impressionne pas, sinon par le tarif (22€) aussi cruel et farceur qu’une comédie d’italienne de l’âge d’or. La bouteille de rouge choisie (un Barbera d’Alba) est à l’image du repas : insipide, mais ne plaisantant pas sur les prix (28€). Les plats ne portant pas à l’audace de se risquer sur les desserts, on se contente de cafés (bons, c’est plutôt rare), ce qui suffit déjà à faire accélérer l’addition à 92€ pour deux à déjeuner. Elle klaxonne, roublarde et moqueuse, comme la Lancia Aurelia B24 de Vittorio Gassman dans Le Fanfaron de Dino Risi. D’ailleurs, La Compagnie Française propose un service voiturier à 10€. Peut-être la meilleure affaire de l’établissement ?
La Compagnie Française – 56, rue Alsace Lorraine. Tél : 05 61 23 53 31. Ouvert tous les jours de 7h à 2h.