Odyssud, le 8 et 9 octobre : SWAN LAKE. La danse contemporaine est en plein métissage, et ce, dans les deux sens. Au moment où sur les scènes institutionnelles, les pièces inspirées de danses populaires, urbaines, festives ou folkloriques sont de plus en plus nombreuses, dans l’autre sens, comme ici, la chorégraphe plaque sur un ballet on ne peut plus classique, des figures, entre autres, de danse zoulou de son pays.
Etat d’âme : mais, serait-ce donc enfin le crépuscule de ces spectacles contemporains de danse figés dans lesquels le moindre mouvement est sensé vous plonger dans une activité masturbatoire cérébrale intense, sans parler de l’écriture gestuelle qui doit vous arracher des « ah » transis quand la tête d’un danseur ayant effectué une rotation d’un quart sur la droite est suivie cinq minutes après d’une rotation d’un quart sur la gauche. Le mot danse reviendrait-il synonyme de mouvement ? En aurait-on enfin fini avec ces spectacles souvent ennuyeux, vides, prétentieux, profondément médiocres et si peu originaux ?
On pourra ne voir dans Swan Lake que beaucoup de fantaisie et d’humour car les premiers moments du spectacle de Dada Masilo offrent effectivement un détonnant mélange de danse classique, de danse contemporaine, de danse zoulou et ses trémoussements, pimentées de capoeira, relevées de touches de music hall, le tout explosant en un singulier feu d’artifice. Les genres sont mêlés avec humour, avec cette décontraction et cette audace qui sont l’apanage des cultures métissées. Sa chorégraphie recèle une vigueur et des beautés stupéfiantes. Mais pour ce tout jeune créateur dont la justesse de sentiments dénote une extraordinaire sensibilité, une lucidité remarquable et une impressionnante maturité, il y a bien, sous-jacent, un propos traité avec une gravité émouvante et une concision impressionnante car, bien vite, ce travail qui offre des images si douloureuses, émouvantes, pertinentes, ne peut être qu’un simple divertissement. Parfaitement lisible, c’est un courageux manifeste pour une libération individuelle chèrement acquise face à une société sud-africaine aux règles féroces et rigides qui a tôt fait d’écraser tous ceux qui ne suivent pas le modèle établi.
Entre Dada Masilo et le Lac des cygnes, ce n’est pas une question de simple divertissement dansé, ni une manière toute simple de s’amuser. Le message vient de plus loin. Il est plus profond. Pourquoi donc la jeune Sud-Africaine au crâne rasé, née voici vingt-huit ans dans le township de Soweto, s’est-elle donc laissé prendre par ses violons et ses tutus? C’est tout simplement l’histoire d’une petite fille qui, éprise de mouvement, et donc de danse, avait rêvé de danser un jour le fameux ballet, le Lac des cygnes. Et qui apprend qu’elle ne le dansera jamais. Il faut être blanche pour jouer les princesses. La blessure est à la dimension du rêve. Et lui forgera un fort tempérament, un caractère à toutes épreuves.
«Je suis une artiste et, comme telle, je ne m’intéresse pas qu’à la danse mais aussi au théâtre ou à la musique, dit la chorégraphe et danseuse qui a travaillé avec William Kentridge, cet artiste, sud-africain aussi, ce touche-à-tout de génie, aux productions de plus en plus ambitieuses et sophistiquées.
Mais pour situer un peu mieux encore le personnage débordant d’énergie et de créativité, toujours en quête de découverte, refusant le moule, citons simplement ce qui l’a poussée à claquer au bout de deux ans la porte de Parts, l’école de chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles. «J’y ai découvert des choses que je n’avais jamais vues en Afrique. J’ai pu en apprendre plus et différemment. Mais je n’aime pas les travaux abstraits. Je n’y vois pas d’intérêt, c’est comme si je travaillais dans un miroir. C’est par les histoires qu’on touche les gens. Quelle importance de démontrer ce qu’on sait? Ce que j’ai appris à Parts m’a convaincue que la narration est une énorme boîte à outils. On y passait trop de temps à parler philosophie et théorie. La danse, je préfère la faire. Le temps est si limité dans ce métier!» Tout est dit. . «J’ai mis un an à chorégraphier ce Lac d’une heure. Je suis très dure avec moi-même», dit-elle. Elle sait, elle connaît le prix du temps pour une danseuse.
Écrit pour douze danseurs, des interprètes extraordinaires à l’éblouissante énergie, à la ferveur sans faille, débordant d’une généreuse vitalité, ce Lac venu d’Afrique du Sud n’est pas que le Lac des Cygnes. Les extraits musicaux sont plus divers : quelques-uns de la partition du ballet le Lac des Cygnes de Tchaïkovsky pour le chorégraphe Marius Petipa, Le Cygne de Saint-Saëns, extrait du Carnaval des animaux, lequel donne naissance à un solo interprété de façon bouleversante par un jeune danseur sud-africain, des pages de Steve Reich, ou d’Arvo Pärt pour le final, un hommage poignant au répertoire de Mats Ek, chorégraphe suédois lui aussi auteur de relectures de pages de ballet classique. Au bilan, un support musical bien composite pour une chorégraphie bien déroutante !
Par la danse, Dada Masilo évoque dans Swan Lake la destinée d’un jeune homme, d’un Siegfried noir que tout son entourage pousse au mariage arrangé avec une jeune femme en tutu toute emplumée de blanc. Peut-être lui-même s’en croit-il épris avant que ne surgisse sous ses yeux, comme en songe, la silhouette, ô combien plus séduisante, d’un autre garçon, version moderne du cygne noir. Coup de foudre, illumination : l’apparition fait réaliser à Siegfried que le mariage qu’on veut lui imposer se révèle être pour lui contre-nature. Elle le pousse à conquérir sa liberté, à suivre son inclination malgré la vindicte sociale à laquelle il s’expose, et malgré les cris de sa mère qui craint pour la réputation de la famille. C’est le triomphe de l’amour … mais qui sèmera la mort, allusion émouvante au SIDA qui en Afrique du Sud continue ses ravages.
Enfin, une heure de danse !!
Michel Grialou
mardi 08 et mercredi 09 octobre à 20h30
Odyssud Blagnac