Le 2 mai à l’UGC variétés, c’est une production entièrement conçue autour du couple Anna Netrebko – Rolando Villazon, créée en 2006 à Los Angeles et reprise à Berlin l’année suivante, la captation a été effectuée à l’Opéra National de Berlin, et constitue un des témoignages les plus flatteurs sur la diva russo-autrichienne. Le duo est idéal.
Le couple fonctionne à merveille avec une alchimie très subtile. Il est rare, très rare que l’on entende pareille harmonie dans les timbres, pareille similitude dans les intentions, avec, à l’arrivée, un tel degré d’osmose que l’on en vient à ne plus distinguer ce qui relève du chant et du théâtre.
Totalement maîtresse de ses ressources vocales, le rôle semble créé pour Anna Netrebko. La sensualité luxuriante de la musique du compositeur est un matériau idéal qu’elle incarne voluptueusement sans parler de son physique. Avec sa plastique ravageuse, ses moues d’enfant gâtée, ses battements de cils “canaille“, son timbre capiteux à la Renée Fleming et ses aigus rayonnants et triomphants, c’est une Sarah Bernhardt sur les planches. Les costumes ne sont pas en reste pour mettre en valeur celle qui devait consacrer sa vie à la prière dans un couvent. Certains partiront à la recherche des stars qui ont pu inspirer le metteur en scène : Audrey Hepburn, Elizabeth Taylor, Sophie Marceau, Marilyn Monroe, et enfin Ingrid Bergman pour la scène finale ?
La même chose vaut pour Rolando Villazon, particulièrement convaincant dans un air comme : «Ah ! fuyez douce image…» qui allie brillance tonale généreuse avec une émotion parfaitement ressentie. L’artiste est toujours aussi irrésistible d’ardeur et de séduction. Une raison supplémentaire du succès d’une telle production, c’est la conduite de l’opéra par Daniel Barenboïm, surtout quand on sait qu’il est intervenu à la dernière minute, en sauvetage presque pour mener certaines représentations, sans que quiconque puisse se permettre de remarquer un certain manque de familiarité avec l’ouvrage. Du grand art de chef d’opéra.
Vincent Paterson a transposé l’action dans le Paris de l’après-guerre en utilisant de nombreuses références photographiques, et cela donne un spectacle qui fonctionne sans problèmes. Chez l’abbé Prévost, Manon succombait à l’attrait du luxe et des plaisirs parisiens. Ici, elle se laisse happer par la vie des vedettes de cinéma hollywoodiennes qu’elle suit avec passion dans les magazines. De plus, tirant parti du physique juvénile et des dons d’acteur de ses deux principaux interprètes, il injecte dans sa mise en scène une dose de réalisme très proche de ce qui se fait au grand écran. Quant aux décors, vivement colorés, avec un arrière-plan en noir et blanc pour évoquer l’atmosphère d’un studio de cinéma, ils changeront du tout au tout dans la scène finale.
Du couvent où elle n’arrivera jamais au bagne qu’elle ne connaîtra pas car morte d’épuisement avant, ainsi va la vie de Manon Lescaut, histoire dont le point de départ constitue le septième volume d’un long roman de l’Abbé Prévost, dont tout le monde ou presque… méconnaît les six premiers ! mais un opéra donné 27 fois depuis sa création au Théâtre du Capitole le 12décembre 1888 ! et opéra dont le succès fut foudroyant et glorieux sur les plus grandes scènes européennes et mêmes américaines. Les plus grandes sopranos dramatiques et les plus grands ténors ont voulu avoir le rôle à leur répertoire.
On sait combien cette musique est secouée de frissons,
D’élans, d’étreintes qui voudraient s’éterniser,
Les harmonies y ressemblent à des bras, les mélodies à des nuques ;
On s’y penche sur le front des femmes pour savoir
A tout prix ce qui se passe derrière.
Claude Debussy, 1er décembre1901.
Michel Grialou
Viva L’Opéra
Jeudi 02 Mai – Cinémas UGC
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