Après Paris en 2025 avec « In the American West », les portraits de Richard Avedon seront à l’honneur à Montréal puis à Toronto en 2026. Pas forcément besoin d’acheter un billet d’avion pour le Canada : le catalogue de l’exposition est déjà sorti et il est superbe.

La duchesse et le duc de Windsor en 1957. Photo Richard Avedon/The Richard Avedon Foundation
Devenu célèbre, dans les années 1950 et 1960, avec ses photographies de mode et ses portraits pour « Harper’s Bazaar » et « Vogue », Richard Avedon (1923-2004) a très rapidement voulu échapper au glamour sur papier glacé. Les inconnus et les célébrités qu’il a placés devant son objectif, il a voulu en percer la personnalité profonde, quitte à bousculer les canons de la beauté, voire à approcher une certaine laideur – notion toute relative – ce que certains n’ont pas manquer de lui reprocher, scandalisés par sa radicalité. Au printemps dernier, la Fondation Cartier-Bresson, à Paris, montrait pour la première fois l’intégralité de la série « In the American West », réalisée en 1985 et consacrée à ceux – mineurs, ouvriers, bouchers, fermiers – qui n’ont jamais la possibilité d’être photographiés par une star de l’image sophistiquée. Les visages étaient souvent burinés et fatigués, parfois brûlés par le soleil, abimés par l’alcool, recouverts de sang ou de cambouis.
Regard perdu, visage tacheté
Ceux montrés par l’exposition « Richard Avedon immortel : portraits du temps qui passe 1951-2004 » ont le même côté « brut de décoffrage ». Homme de tous les excès, le pianiste Oscar Levant affiche une bouche édentée ; le révérend Martin Cyril d’Arcy semble plus diabolique que bienveillant ; « né en tant qu’esclave » William Casby a tout d’un survivant venu d’un autre monde ; positionné en regard du peu commode John Ford, Jean Renoir paraît patiné par la bonté (mais les apparences peuvent être trompeuses) ; la duchesse de Windsor fait très vieille chouette aux côtés de son mari ultra chic. Plus terribles encore sont les portraits du père de Richard Avedon, sémillant commerçant devenu un vieillard au regard perdu et au visage tout tacheté. Et cœur d’un ouvrage qui sonde les âmes autant qu’il met en pleine lumière les rides qui se creusent.

Toni Morrison en 2003. Photo Richard Avedon/The Richard Avedon Foundation
Pour autant, le photographe ne cherche à accabler personne, plutôt à exprimer sa terreur par rapport au vieillissement et à la mort. La vie, heureusement, bat encore très fort chez de nombreux artistes malgré le poids des années : la chanteuse lyrique Marian Anderson à l’opulente chevelure ; le peintre Georges Braque et sa femme, complices souriants ; le compositeur Stephen Sondheim, regard coquin ; Marguerite Duras en petite nana à jupette… Photographiés le plus souvent sur fond blanc, dans le cadre noir du négatif (la marque de fabrique d’Avedon), ces femmes et ces hommes sont effectivement devenus immortels par la grâce de l’image fixe.
« L’âge nous plante un couteau dans le dos »
« Les portraits du grand âge d’Avedon tiennent du commentaire sur la nature conditionnelle de l’être humain, écrit le critique Adam Gopnik dans la préface du catalogue. Tous, nous tentons de nous créer, de nous cacher, d’être plus beaux et plus sages – comme ces gens sur leurs portraits – tout en étant forcés de rester nous-mêmes. L’âge nous rattrape amicalement par-derrière, armé d’un sourire et d’un couteau qu’il nous plante dans le dos. »

Autoportrait, 2003. Photo Richard Avedon/The Richard Avedon Foundation
Ceux qui pourront aller au musée des Beaux-Arts de Montréal entre février et juillet 2026 ou à l’Image Centre de Toronto entre septembre et décembre, auront le privilège de découvrir des tirages toujours somptueux chez Avedon. Quant aux autres, ils peuvent d’ores et déjà feuilleter un catalogue imprimé avec soin (en Chine, malheureusement), parmi les plus beaux et les plus profonds édités en cette fin d’année.
Richard Avedon, « Immortel » (Phaidon, 208 pages, 70 euros).


