Critique. Théâtre. Toulouse. Théatredelacité, le 18 novembre 2025. Simon Falguières : Le livre de K.
Grand succès public pour le Livre de K
Le Nid de Cendres avait trouvé un écho assez fantastique en 2023 bien que durant toute une journée en quatre pièces. Le nouveau spectacle de Simon Falguières créé à Toulouse le 12 novembre, est un spectacle de théâtre populaire de la même veine. Simon Falguières est toutefois bien plus concis, il ne dure « que » 2h30. Il y a pourtant une telle quantité de richesses dans ce spectacle, tant d’intelligence et de courage qu’il n’est pas possible de décrire tout ce qui se passe. Cette concentration est telle que je n’ai trouvé que la solution d’y voir un rêve afin d’en comprendre la complexité.

Alors tout s’est éclairé. Nous sommes au chevet de la démocratie à l’européenne, en tant qu’écrivaine de sa propre histoire. En pyjama, elle va bientôt gagner son lit d’hôpital. Borgne, symboliquement aveuglée elle sait que sa fin est très proche. Elle se donne le devoir d’écrire son livre. Comme cela se passe toujours, et notre époque n’y échappe pas, le pouvoir tente de manipuler son histoire. Donc nous assistons à cette auto manipulation. Et pour cela le conte, le théâtre, le rapport entre le rêve et la réalité sont convoqués. Ce que nous voyons est d’ailleurs plutôt un cauchemar. Le travail de rêve qui doit être le gardien de notre sommeil ne fonctionne pas. Ce spectacle nous maintient en éveil tout du long.

De son enfance l’écrivain retrace les détails. Le roman familial débute avec le père pêcheur et la mère muette qui se rencontrent sur un banc. Il y a aura toute une scène où il sera question de savoir ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu de banc. Le questionnement n’est pas loin de savoir quelque chose de la scène primitive. De cette union naissent trois enfants. Le troisième une fille, Esther nait après la mort du père noyé.

Les deux ainés, un garçon et une fille jumeaux grandissent en harmonie. La fille écrit. Elle ne sait pas quoi vraiment faire d’autre, cet appel de l’écriture ne se discute pas, cela s’impose à elle-même. Le garçon semble heureux. Cette famille vit à l’ombre d’un château qui impose des règles et veille à leur application. Le « maître » en fait deux descentes terrifiantes dans la maison. La première pour arrêter la personne qui écrit pendant la nuit en laissant la lumière allumée. C’est le fils qui va se « sacrifier » laissant sa sœur poursuivre son œuvre d’écriture. La deuxième fois le « maître » emmène la fille « différente » qui ne regarde pas dans les yeux, ne dit pas bonjour, ne parle pas du tout mais joue divinement du piano.
Le « maître » est donc un dictateur très déterminé et également irascible et nous découvrons qu’il manipule ceux qui l’entourent avec un art consommé. Ainsi le garçon devient son bras agissant, sa marionnette. Il fera toutes les basses besognes exigées. Esther sera « rééduquée » très efficacement. La chirurgie, les prothèses seront utilisées. Elle parlera et agira comme une poupée mécanique, perdant toute singularité.
La compagne du « maître » a été la première habitante de la maison, celle qui écrivait et avait disparu subitement. Nous découvrons qu’il oblige cette femme à singer sa propre mère avec perruques et costume. Le scénario pervers complexe mis en scène va conduire le fils-alter ego à tuer cette femme-mère sous les yeux du maître qui en jouit très salement. C’est une scène vraiment cauchemardesque. Le tyran va également exiger plus : la mère des enfants. En fait il détruit toute la famille. Seule la fille résiste douloureusement après la destruction par le feu de son livre par son frère. Elle va dans une troupe de théâtre.

Sur un autre plan une forme de deuxième monde se construit avec une scène de théâtre en tréteau qui se maintient comme elle peut avant de devoir renoncer avec le départ de l’actrice et autrice principale.
Le lit d’hôpital est la troisième scène, de visites en soins infirmiers nous avançons dans la compréhension de la mort qui avance et de l’écriture qui se fait.
Il faut donc deux autres scènes pour résister à la dictature : L’écriture et le théâtre. Et c’est Simon Falguières lui-même qui joue l’Auguste sur la scène de théâtre et qui tient malgré tout ce qui lui est enlevé.
Le jeu des acteurs est admirable avec un équilibre constamment retrouvé entre distanciation et émotion, vérité et sophistication. C’est un travail vraiment magnifique
Les décors sont à la fois symboliques et minimalistes. Les lumières très habiles. Les costumes sont simples. Le « théâtre pauvre » appelé par Simon Falguières se pare tout de même de tous les atours possibles !

La richesse des symboles est extrême. Ainsi le rapport entre les langues allemande, russe et américaine et le totalitarisme. Le langage signé est lui nécessairement intégratif, le seul utilisé par la mère. L’œil unique du tyran, comme du malade, évoque à la fois une référence à Wotan le Dieux nordique borgne et à une sorte de demi-œdipe. A ces deux-là la connaissance a coûté cher. D’un autre côté avec un seul œil, l’aveuglement sur soi-même est suggéré avec art tant pour le tyran que pour la démocratie malade et mourante.
Le feu qui détruit les livres évoque les autodafés nazis ou Farenheit 451. Les « belles tombes » faites a postériori des massacres sont légion. Le rapport au soin des enfants autistes rééduqués de force est douloureusement mis en scène avec le cas d’Esther.
On le constate les questions hautement politiques sont nombreuses et mises sous nos yeux, la poésie les habille. L’urgence de la résistance n’a pas trouvé de meilleurs artistes que Simon Falguières et sa compagnie K et cela dans un spectacle abordable au plus grand nombre. Bravo les Artistes et merci.
Le public a bien évidemment exulté aux saluts.
Hubert Stoecklin
Photos : © Christophe Raynaud de Lage
Critique.Théâtre. Toulouse.THéatredelacité, le 18 novembre 2025. LE LIVRE DE K . Texte, mise en scène et scénographie : Simon Falguières / Le K ; Spectacle accompagné par le ThéâtredelaCité ; Avec : Florence Banks en alternance, Rosa Victoire Boutterin, Mathilde Charbonneaux, Lomane de Dietrich, Simon Falguières, Karine Feuillebois, Myriam Fichter, Charly Fournier, Pia Lagrange en alternance, Liza Alegria Ndikita, Stanislas Perrin et Mathias Zakhar ; Assistanat, Lolita de Villers ; Dramaturgie LSF, Vincent Bexiga ; Lumières, Léandre Gans ; Accessoires, Alice Delarue ; Musique et conception sonore, Hippolyte Leblanc et Simon Falguières ; Surtitrage et création vidéo, Typhaine Steiner ; Costumes, Lucile Charvet ; Réalisation costumes, Marion Moinet et Maïalen Biais ; Régie plateau, Alice Delarue et Roméo Rebière ; Régie générale, Clémentine Bollée ; Régie son, Hippolyte Leblanc ; Accompagnement scénographique, Emmanuel Clolus.
