Le 13 mai 2025, dans le cadre de la Semaine de l’Europe, l’Instituto Cervantes qui nous promet encore de belles émotions culturelles, en partenariat avec les Instituts culturels nationaux de l’Union européenne (1), était à l’heure hispano-africaine, avec un métissage musical Espagne-Afrique par un duo passionnant et passionné de guitaristes-chanteurs aux arrangements réjouissants; et il y avait l’affluence des grands jours.
Si Bernardo Sandoval est un excellent guitariste qu’on ne présente plus depuis le temps qu’il écume les scènes de France et de Navarre (qui ne le connaît pas n’est pas toulousain), Paamath est un superbe chanteur à la voix profonde et puissante, et c’est une découverte, pour plusieurs de mes voisin.e.s, comme pour moi je l’avoue; de plus son humour de bon aloi soulève le public: ils se sont réunis sur scène pour un concert 2 guitares et 2 voix (en espagnol, wolof (langage le plus parlé au Sénégal), buru (langage malayo-polynésien) et français).
Originaire de Castille-et-León en Espagne, Sandoval est un musicien au long cours qui a multiplié les expériences, jouant en particulier avec la fine fleur des musiciens de Toulouse, y compris avec l’Orchestre de Chambre de Toulouse dirigé par le violoniste Alain Moglia (avec qui il partageait une autre passion, la pêche à la truite..), lors d’un concert que j’ai organisé à la Halle aux Grains de Toulouse pour l’association Hôpital-Sourire (au bénéfices des Enfants hospitalisés), sous le parrainage de Philippe Noiret.
On sent que le guitariste-chanteur autodidacte Pape Amath N’Diaye dit Paamath (2), est profondément épris de son amie la Musique dont il semble avoir un besoin vital: quand il chante il rayonne de bonne santé; disponible et généreux, il fait partager ce bonheur à son auditoire comme un griot soignant, – ce qui n’a rien d’étonnant vu ses racines africaines -.
Leur rencontre a eu lieu à la suite d’une commande du Conseil départemental de l’Ariège (merci à lui), et c’est là qu’ils ont sympathisé puis fusionné leurs créations en une alchimie musicale rare pour en faire un répertoire unique et original.
Quand chacun, tour à tour rythmique et soliste, chante dans la langue de l’autre, le mélange des sonorités, loin d’être déroutant, est envoutant, comme s’il coulait de source et devenait un esperanto musical: je me rappelle du grand Jordi Savall au Théâtre du Capitole décrivant la symbiose des musiciens méditerranéens de l’époque médiévale se comprenant parfaitement, malgré les frontières linguistiques, et ajoutant que « la musique est le seul langage que tous les humains peuvent partager. »
Diabi
Sandoval – qui ressemble de plus en plus aux personnages ornicéphales (3) de la plasticienne Parvati -, dont le jeu de guitare a inspiré des générations de guitaristes depuis plus de 40 ans, s’est parfaitement adapté au swing puissant d’un Paamath en proie au duende africain; et vice versa.
Quant à Paamath, dont le style de jeu me fait parfois penser à la guitare makossa de mon regretté ami Francis Bebey, il n’a pas son pareil pour faire chanter (juste) un public conquis. Le titre de son second album, Le Nom de l’Eau, lui va comme un gant.
Le nom de l’eau
Le rythme commun édifié par les deux artistes ne faiblit jamais et leurs harmonies vocales partagées à l’unisson nous donnent à entendre combien les frontières sont artificielles et combien les cœurs de ces deux hommes, l’un à la peau noire et l’autre à la peau blanche battent si fort ensemble; et j’entends encore Nougaro chanter: Au-delà de nos oripeaux Noir et Blanc sont ressemblants Comme deux gouttes d’eau.
De Sangre animal, une ballade rêveuse, à un bel hommage en français à « ceux qui sont partis », avec des pauses prégnantes très bluesy, de Ayúdame, Diabitoo, Negriluz etc. composés par Bernardo Sandoval à Inch’allah Bou Euleugué, Maïmoun etc. composé par Amath N’Diaye (Paamath), les deux complices nous ont entrainés vers leurs paysages musicaux de Castille-et-León à Dakar (Sénégal) aller-retour.
Negriluz
L’Instituto Cervantes était donc à l’heure africaine ce 13 mai 2025, l’Espagne invitant l’Afrique, et je me suis rappelé de mes études classiques où l’on m’a appris que le continent de Gondwana, était un supercontinent formé tout à la fin du Néoprotérozoïque (– 600 millions d’années) et qui a commencé à se fracturer au Jurassique (– 160 millions d’années), quand l’Europe et l’Afrique ne faisaient qu’une, ainsi que ce vers de Théophile Gautier » L’Espagne, qui touche à l’Afrique comme la Grèce à l’Asie; mais aussi que « Les Anciens croyaient que « la poésie et la musique sont un moyen de défense contre les périls, et qu’il est important, en temps de guerre, d’écouter les poètes »… J’ajouterai : et les musiciens.
Pour en savoir plus :
1) EUNIC Instituts culturels nationaux de l’Union européenne
2) Pape Amath N’diaye est né à Dakar au Sénégal. Musicien, chanteur, auteur, compositeur, interprète, il commence à arpenter les scènes à la fin des années 80 avec le groupe Exil, et se distingue au Printemps de Bourges 89 avec ce même groupe, représentant la région PACA. Peu après, installés en Midi Pyrénées, Pape Amath N’diaye et la flûtiste–saxophoniste-chanteuse Francine Tièche créent le duo Buru en 1990. Ils révèlent une musique originale et atypique qui, durant 17 ans, les mènera à travers le monde, de festivals en scènes nationales et de café concerts en espaces plus intimistes, voire des concerts organisés chez l’habitant… Ils s’enrichissent aussi de nombreuses rencontres, partageant des scènes ou assurant les premières parties d’artistes comme Claude Nougaro, Thomas Fersen, Youssou N’Dour, Salif Keita, Joe Zawinul, Nana Vasconcelos, Tinariwen… Jusqu’à sa rencontre avec Bernardo Sandoval. En 2010, après un premier album Gaïndé N’diaye en solo sous le nom de Paamath, l’artiste étoffe sa carrière de nouvelles rencontres. Il croise sur son chemin, Les Staff Bend bilili, San Sévérino, Zebda… En 2014 il est nommé 1er citoyen d’honneur de la ville où il a grandi : Villeneuve-Loubet. Outre le spectacle vivant sur scène, il compose énormément pour le cinéma.
« Sandoval et Paamath appartiennent à deux constellations d’un même ciel universel. Le flamenco, musique de feu, et la musique africaine, musique d’eau. Leur union ne peut être que libre, provisoire, sur la même terre, l’un en élévation vagabonde, le flamenco, l’autre en puisant dans la terre des origines, dans le sol ferme de la communauté humaine. D’où l’apaisement effréné, la joie explosive et tempérée que donnent à vivre Sandoval et Paamath. »
(3) à tête d’oiseaux.