En 1985, dans « Rendez-vous », d’André Téchiné, Juliette Binoche prenait le train Toulouse-Paris pour tenter sa chance comme actrice dans la Capitale. Le film, récit tourmenté d’une vocation dévorante et d’un impossible amour, lui valait alors d’être l’éclatante révélation du Festival de Cannes. 40 ans plus tard, devenue star, Juliette Binoche revient sur la Croisette comme présidente du jury. Retour sur des débuts fracassants.

Juliette Binoche dans « Rendez-vous ». Photo Carlotta
Le Tarn-et-Garonnais André Téchiné n’a jamais oublié son Sud-Ouest natal. Il y a tourné plusieurs films, dont « Le lieu du crime » (1986), « Ma saison préférée » (1993) « Les roseaux sauvages » (1994) et « Quand on a 17 ans » (2016). Dans « Rendez-vous », cet attachement aux origines se manifeste dès le générique, long travelling ferroviaire où l’on apprend que Nina, jouée par Juliette Binoche, est partie de Toulouse pour gagner Paris, terre promise devant lui permettre d’accéder à son rêve de devenir actrice. Dans le film, sombre et ardent, porté par une mise en scène exaltée et une musique sublime de Philippe Sarde, sa vocation se heurtera à bien des frustrations et des souffrances. Dans la vraie vie, « Rendez-vous » et sa sélection par le Festival de Cannes seront le sésame pour une carrière admirable, marquée par un Oscar pour « Le patient anglais », d’Anthony Minghella, en 1996 et un Prix d’interprétation, enfin, à Cannes, pour « Copie conforme », d’Abbas Kiarostami, en 2010.
La grâce d’une débutante au visage adolescent
En 1985, Juliette Binoche a 21 ans. Elle a la grâce mais elle ne sait pas qu’elle tournera avec les plus grands réalisateurs mondiaux, alliant exigence artistique parfois radicale et projets plus commerciaux (« Godzilla » et « Ma loute » ne boxent pas vraiment dans la même catégorie !) Avant de la rencontrer sur la Croisette, on avait découvert le visage lumineux de la jeune actrice dans « La vie de famille », de Jacques Doillon, et « Je vous salue Marie », de Jean-Luc Godard.
Quand André Téchiné choisit Juliette Binoche pour « Rendez-vous », projet conçu et réalisé dans l’urgence, il le fait sans la moindre hésitation. « Juliette écrasait toutes les autres comédiennes, racontait-il dans Cinématographe, excellente revue aujourd’hui disparue. J’ai été séduit par l’expressivité de son regard, de son visage, par sa fraîcheur, par sa puissance dramatique. Elle avait une façon de s’exposer sans retenue, sans réserve, à l’œil de la caméra, qui m’a convaincu. Dans mon film, Juliette est mon personnage: charnelle, vivante, pleine de santé. C’est une nature. »
A Cannes, juste avant la montée des marches, nous avions eu la chance de voir Juliette Binoche nous apparaître comme dans un rêve, toute de spontanéité, à la fois radieuse et réfléchie, mutine et ambitieuse. On l’avait rencontrée, par l’entremise de Wadeck Stanczak, son complice de « Rendez-vous » (étoile filante qui a finalement abandonné le métier pour une quête spirituelle) et ce fut un enchantement.
« Je n’avais aucune idée de ce que représentait le Festival de Cannes »
Face aux journalistes sous le charme, elle affiche alors la plus grande simplicité (elle n’est pas encore l’image publicitaire de Lancôme), montrant très vite qu’elle n’est pas dupe du milieu dont elle est très vite devenue la chouchou. « Je n’ai jamais eu de véritable fascination pour le monde du cinéma, explique-t-elle dans le magazine Première. Pour moi, l’important, c’est le jeu, le travail, le metteur en scène. Les à-côtés du tournage ne m’intéressaient pas. Je n’avais aucune idée de ce que représentait le Festival de Cannes. Tout le monde autour de moi en parlait avec beaucoup d’excitation. Du coup, cela m’excitait aussi mais je ne savais pas du tout ce que j’allais y trouver. Il a fallu que je vienne sur place pour comprendre la fascination que peut exercer l’équipe d’un film en train de monter les marches du palais avant la projection officielle. »

L’an dernier Juliette Binoche était sur la Croisette avec « La passion de Dodin Bouffan », échec critique et bide commercial. Photo Curiosa/Gaumont
A Cannes, le jury présidé par Milos Forman décernera la Palme d’Or à « Papa est en voyage d’affaire », d’Emir Kusturica, le Grand prix spécial du jury à « Birdy », d’Alan Parker, et le Prix d’interprétation masculine à William Hurt dans « Le baiser de la femme araignée ». Quant au Prix d’interprétation féminine, il n’ira pas à la toute jeune Juliette Binoche mais ex-aequo à deux comédiennes expérimentées, Norma Aleandro dans « L’histoire officielle » et Cher dans « Mask ». Pour autant, « Rendez-vous » ne repartira pas bredouille, André Téchiné obtenant un Prix de la mise en scène justifié…et un très beau succès public, l’un des rares de sa longue carrière.
“ J’attends avec impatience le partage de ces moments de vie avec les membres du Jury et le public, a déclaré Juliette Binoche lors de l’annonce de sa présidence cannoise. En 1985, je montais les Marches pour la première fois avec l’enthousiasme et l’incertitude d’une jeune actrice ; je n’imaginais pas revenir 40 ans après dans ce rôle honorifique de présidente du jury. J’en pèse le privilège, la responsabilité et la nécessité absolue d’humilité. ”
Reste à savoir maintenant quel mandat exercera sera la très expérimentée Juliette Binoche. Réponse le 24 mai lors du prononcé du palmarès du 78e Festival de Cannes.
Festival de Cannes, du 13 au 24 mai.
« Rendez-vous » est disponible en DVD chez Carlotta ou en VOD.