Brique de Platine
Si vous n’êtes pas encore convaincus, ou si vous l’êtes déjà, cet enregistrement d’Artaserse, opéra d’un illustre inconnu ou presque, le dénommé Leonardo Vinci – à ne pas confondre avec… – devrait vous enthousiasmer en tant qu’amoureux du chant quel qu’il soit.
L’engouement pour la période baroque ne faiblit pas, loin de là. Pareil pour l’arrivée sur scène d’opéras déjà connus et d’autres pas encore mais qui comme celui-ci commence à faire bouger les foules des “addicts“ au lyrique. Et à cet art du chant si bien résumé par ces quelques lignes d’un contemporain du compositeur napolitain Leonardo Vinci, le castrat Pier Francesco Tosi ( 1654 – 1732 ) dans son Traité du chant : « Quel maître que le cœur ! Dites-le, chers chanteurs, dites-le avec toute votre gratitude, qu’il vous a, en quelques leçons, enseigné l’expression la plus belle, le goût le plus fin, l’action la plus noble et l’art le plus profond. (…) Mais cela n’est pas encore assez. Il faut, en effet, savoir aussi comment et de qui l’on doit apprendre. »
Musiciens et librettistes n’ont pas attendu le XXIème siècle pour nous concocter des ouvrages qui, on le sait, ont soulevé alors les foules, et quand pour le livret et la musique, Metastase et Vinci se rencontrent, cela donne cet Artaserse virevoltant. La musique est détonante, Leonardo s’en donnant à cour joie. Tout pour l’oreille en évitant toute lassitude en écrivant, comme Agostino Steffani, des arias relativement courtes, mais qui sont de véritables feux d’artifices pour la voix quand elles font appel à la virtuosité, une virtuosité essentiellement recherchée dont faisaient preuve alors les “stars“, c’est-à dire les castrats électrisants. Très habilement, le librettiste fait se succéder les tableaux de manière à ce que les chanteurs puissent être en mesure d’offrir tout leur talent à leur auditoire conquis d’avance, sans oublier tous les ressorts qui permettent au récit d’avancer en évitant l’ennui.
Le résultat est ici époustouflant, grisant, n’ayons pas peur des mots. La “brochette “ de chanteurs réunis est impressionnante. Pas moins de cinq contre-ténors ! Ce qui ne veut pas dire cinq voix identiques, comme si on disait, Alagna, Villazon, Calleja, Florez, Kaufmann, même voix ! Mais des voix avec leurs qualités propres, qui font que Cencic n’a pas gardé pour lui le rôle-titre mais l’a laissé à son compère Jaroussky. Faut-il insister sur l’ Artaserse de Philippe Jaroussky ? Tout a été dit sur les qualités de la voix, que l’on retrouve ici. Ou la Mandane, héroïne féminine de Max Emanuel Cencic, à qui l’on doit, grand merci, ce projet si magnifiquement abouti ? Cencic, dont la virtuosité éblouissante ne semble pas rencontrer de limites, avec un souffle qui s’étire à l’envie dans toute sa plénitude, et un art du chant d’une expressivité telle que l’on succombe !!
Dans Arbace, rôle créé par le castrat Carestini puis repris par Farinelli, l’argentin Franco Fagioli est LA révélation. Ces progrès depuis son CD Haendel – Mozart de 2004 sont impressionnants. Dotée d’une voix chaude et puissante, son agilité vocale, ses aigus et ses graves font penser un peu plus à chaque écoute à …Cecilia Bartoli ! Sa prestation vous aide à mieux saisir les réactions hallucinées du public des castrats. Je pense fermement qu’il devient la nouvelle “coqueluche“ du chant baroque !!
La Semira (rôle féminin) de Valer Barna-Sabanus aux très beaux accents est pour moi une belle découverte, sans oublier le Megabise plein de promesses de l’ukrainien Yuriy Mynenko, doté d’une voix expressive et puissante, tout comme le timbre magnifique de l’allemand Daniel Behle, le seul ténor, dans le rôle du traître Artabano. Tous, ont sûrement lu ces quelques lignes de Tosi encore : «Toute la beauté des passages à vocalises est subordonnée à la perfection de leur intonation et de leur mise en place, à leur rondeur, à leur netteté, à leur égalité d’intonation et à leur rapidité d’intonation.»
Mais, le grand vainqueur, s’il en est, me semble le bouillonnant chef suisse, Diego Fasolis qui entraîne de façon irrésistible tous les membres pleins de verve et de punch du Concerto Köln. Pas une seule seconde qui ne soit pas pensée aussi bien pour avancer que pour permettre aux chanteurs de souffler un peu. Souvenez-vous, il nous avait déjà plus que favorablement interpellé en dirigeant les I Barocchisti dans le CD Mission de Cecilia Bartoli, et le DVD.
D’une belle énergie communicative, on voudrait bien avoir tout ce petit monde devant les yeux. Certains privilégiés ont vécu un très grand moment à Nancy avec cet Artaserse mis en scène ! Et sans mise en scène à Vienne, Lausanne et Paris. Tant pis pour les autres ! Pour l’instant. Vengez-vous en écoutant en boucle les 3 galettes comme certains le font sûrement depuis plusieurs semaines déjà.
Michel Grialou
Coffret de 3CD – Virgin Classics.