Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
En France, les recueils de nouvelles ne se vendent pas, dit-on. De fait, les éditeurs n’en publient pas, ou peu. Par conséquent, on n’achète pas de recueils de nouvelles. Ce parfait exemple de prophétie autoréalisatrice a beau être démenti par les faits (on songe au premier livre d’Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, qui bénéficia d’un grand succès public), la cause semble entendue. Heureusement, certains perpétuent ce genre littéraire majeur dans lequel s’illustrèrent Borges, Fitzgerald ou Morand, pour ne citer que quelques immenses écrivains du XXème siècle. Ainsi, Bernard Quiriny, également romancier, qui publie régulièrement des recueils et dont le dernier en date, Nouvelles nocturnes, illustre ses talents.

Bernard Quiriny © Igor Kov
Un étudiant soutenant « une thèse sur rien », un suicidaire qui enchaîne les résurrections, une rue de Paris occupée uniquement par des écrivains, un homme qui ne cesse de se dupliquer, un autre qui se retrouve inévitablement témoin de crimes : les motifs déployés par Quiriny naviguent entre l’absurde et le macabre, l’humour noir et le non-sens. Sous sa plume, la bizarrerie, l’étrange, le fantastique s’invitent avec naturel.
Entre Marcel Aymé et Kafka
L’auteur de Contes carnivores et de Portrait du baron d’Handrax (qui vient de paraître en poche) rend plausible, voire réaliste, les situations les plus loufoques. Sans forcer le trait, il entraîne le lecteur dans un monde aussi improbable que cohérent : « Marcel, m’apprit Jean-Clair, habitait seul dans une petite maison, vivant de ses légumes, des lapins qu’il vendait, et du braconnage. Pour se divertir, il tuait des gens, le plus souvent des promeneurs qu’il croisait en forêt. Il ne s’en prenait pas normalement aux habitants du village qui évitaient d’ailleurs ses coins de chasse pour ne pas l’y croiser. Les étrangers, en revanche, il n’hésitait pas : il leur tombait dessus par surprise, et leur cassait le crâne à coups de pierre. »
On compare souvent l’art et la manière de Bernard Quiriny au grand Marcel Aymé. Le rapprochement est pertinent, mais il ne faut pas oublier l’ombre de Kafka dans cet univers inquiétant et déréglé obéissant à une apparente rationalité. Parmi ces nouvelles qui témoignent d’une imagination débridée, on pourrait encore citer celles nous dévoilant des musées très singuliers, le lourd secret de Sherlock Holmes et de Watson, de curieuses maisons hantées ou les fantaisies exterminatrices d’un dictateur. Le regretté Benoît Duteurtre était un fidèle lecteur et un fervent admirateur de Bernard Quiriny. Dans des registres différents mais voisins, tous deux appartiennent à cette famille d’écrivains cultivant la fantaisie, l’humour, l’inventivité comme antidotes à la morosité des temps où nous sommes. Ce n’est pas si courant.