Du vendredi 23 mai au dimanche 22 juin 2025, Le Nouveau Printemps métamorphose Saint-Sernin et Arnaud-Bernard en un vibrant carrefour artistique. Kiddy Smile, icône de l’électro et du voguing à Paris et en France, y orchestre un parcours d’expositions et performances avec 39 artistes. Pour Culture 31, il dévoile son lien avec Toulouse et son ambition de l’art engagé.

Kiddy Smile © Victor Charrier
Le quartier Saint-Sernin/Arnaud-Bernard est un mélange d’histoires sacrées. Y a-t-il un coin précis qui vous a inspiré pour façonner cette édition, et comment cela s’est-il traduit dans une œuvre ou un choix artistique ?
Kiddy Smile : Je suis tombé amoureux de la Chapelle des Cordeliers. C’était un joli coup de cœur, un des premiers endroits que j’ai visités à Toulouse de jour avec la Place du Capitole. Toulouse, je connaissais peu, à part pour mes activités nocturnes. La ville de jour est incroyable et accessible, très diverse. J’adore les lieux de culte, leur histoire, la beauté. Je crois que la spiritualité n’a pas à voir avec les lieux mais avec les personnes et leur intériorité.

Kiddy Smile porte divers projets culturels qui lui tiennent à coeur lors du Nouveau Printemps 2025 © André Atangana
Nous avons veillé à ne pas imposer les lieux présélectionnés aux artistes. Les lieux ont été choisis avant que les artistes acceptent l’invitation et que la Ville de Toulouse valide cette édition. Nous souhaitions laisser les artistes s’exprimer librement et voir quelle « vibe » pouvait les inspirer. Le festival a une démarche particulière : présenter de l’art dans des lieux qui n’y sont pas dédiés. Nous avons passé des commandes aux artistes tout en leur laissant le choix.
Vous parlez des “familles de cœur” comme fil rouge du festival. Est-ce qu’une rencontre a influencé la manière dont vous avez construit ce parcours artistique du Nouveau Printemps ?
Kiddy Smile : Je travaille avec mes amis. Ils font partie intégrante de mes choix sentimentaux et professionnels. Il n’y a pas de dissociation, c’est une chance pour moi. Je voulais inviter des artistes et questionner le lien familial en dehors du cadre biologique. Le mot « communauté » peut effrayer ; je préfère parler de famille. Au-delà du vocabulaire, l’essentiel est le lien entre les humains, le besoin de communication entre générations, la transmission : qu’est-ce qu’on garde et transmet aux générations futures ? Cette édition traite de ces thématiques en englobant le lien familial. Faire famille, c’est accepter qui l’on est et qui sont les autres, sans questionnement.
Votre exposition A House Should Be a Home explore l’intimité de la scène ballroom. Comment avez-vous décidé ce que vous vouliez révéler ou garder pudique dans ce projet, et qu’est-ce que cet équilibre dit de votre lien avec Toulouse pour ce festival ?
Kiddy Smile : En toute honnêteté, mon exposition n’a pas grand-chose à voir avec Toulouse. Sans cette invitation à Toulouse, je n’aurais pas pu dialoguer avec les artistes invités. J’ai remarqué que ma pratique musicale se rapproche davantage de celle d’un artiste visuel que d’un performeur. Ce constat m’a donné envie de participer à l’exposition pour exprimer ma vision de la famille via différents médiums, en collaboration avec Clément Postec (directeur artistique du Nouveau Printemps).
“L’empathie est toujours là, mais dans les faits, quand on vit, on n’a pas le réflexe d’inclure les autres” – Kiddy Smile
Le festival s’engage pour l’inclusion et l’éco-responsabilité, avec des visites en langue des signes ou le label Détonnant. Comment voyez-vous ces valeurs s’y refléter ?
Kiddy Smile : En vérité, ce n’est plus possible de travailler comme en 1990. Il faut décélérer sa consommation, et être éco-responsable. Je suis un peu surpris qu’on considère ce qui est la norme comme l’ovni à inclure, alors que c’est la base déjà. Nous avons niqué la planète, nous sommes des êtres abjects. Nous parlons d’inclusion alors que nous sommes des êtres abjects. L’empathie est toujours là, mais dans les faits quand on vit, on n’a pas le réflexe d’inclure les autres.
Qu’est-ce que cela dit de l’art finalement ?
Kiddy Smile : Pour ce festival, tout le monde essaye d’y mettre du sien et ça se passe au mieux, et de ce que j’ai compris à la base de l’art, l’Église utilisait les dessins comme outil de propagande pour faire répandre la religion auprès des personnes qui ne savaient pas lire. Dans les grottes de Lascaux, les fresques servaient à transmettre et à laisser une trace à quelqu’un. L’art a toujours été un vecteur de mémoire et de communication.

« matter gone wild », oeuvre de Josèfa Ntjam, artiste exposée lors du Nouveau Printemps 2025 © Marc Domage
Le Nouveau Printemps met en lumière des récits souvent absents des grands musées, comme ceux des marges ou des diasporas. Y a-t-il une histoire personnelle ou un souvenir que vous portez en vous qui a guidé votre envie de donner une place à ces voix dans le festival ?
Kiddy Smile : Nous avons invité des artistes à parler d’eux-mêmes et à porter un regard critique sur la société. Ce regard n’est pas nécessairement négatif ; il peut être positif. Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont les artistes bousculent et réinventent. Ce n’est pas uniquement une question de marges ou de diaspora.
« Je veux pouvoir amener des gens avec, mais de manière égoïste, [ l’art ] me permet de me réaliser” – Kiddy Smile
Un artiste que j’aurais aimé avoir, c’est Tony Regazzoni qui crée autour de l’univers du tuning. Ce n’était pas forcément le sujet idéal pour cette édition, mais j’aurais aimé l’exposer. De toute façon, il faut faire des choix pour maintenir un équilibre.
Dans 10 ans, quand on repensera à cette édition, quel sentiment ou image voulez-vous que les Toulousains gardent en tête ?
Kiddy Smile : Je ne me pose pas ce genre de question. J’ai juste envie d’amener des gens avec moi, à travers ce que je fais, de manière égoïste parce que cela me permet de me réaliser. Les Toulousains se feront leur propre opinion. S’ils se souviennent de moi dans 10 ans et de ce que j’ai fait à Toulouse, ce sera déjà bien… L’essentiel, c’est de ne pas me rater !
Propos recueillis par William Alimi