Alors qu’à la Galerie 21, elle expose son Engagement de liberté, Dominique Kermène s’est entretenue avec Culture 31 lors de son vernissage. Formée aux Beaux-Arts, cette peintre et graveuse francilienne délivre jusqu’au 31 mai 2025 un art brut et libre, inspiré par la nature et l’humain. En somme, il s’agit d’une quête trouvée de liberté intérieure, qu’elle dévoile ici comme une visite.
D’où vient cette liberté que vous mettez dans vos toiles, et qu’est-ce qui vous guide ?
Je commence une toile, je travaille dessus, je prépare mes fonds et je deviens libre. J’ai été photographe, ça me garantit cette liberté. Je cherche une liberté qui vient de l’intérieur. La nature m’inspire, comme la forêt ou les arbres. J’aime leur repos et leur paix intérieure. Les moments où je vais chez ma mère dans le Limousin, il y a des arbres et j’aime entendre le bruit des petits oiseaux. Ça me dépayse et me fait beaucoup de bien.
Par contre, je ne me dis pas : « tiens, aujourd’hui je vais peindre ci ou ça ». L’inspiration vient en peignant, par le geste et le choix des couleurs. Je n’utilise pas vraiment de protocole. Certaines de mes œuvres portent une âme sombre, mais il y a cette liberté aussi.

L’artiste francilienne Dominique expose son oeuvre à la Galerie 21 jusqu’au 31 mai 2025 © William Alimi
Comment avez-vous créé une œuvre présentée à partir de l’écriture braille, qu’en est-il ressorti ?
J’ai travaillé sur cette série en braille « Impressions palpables » que j’ai réalisée avec Camilo Rojas, un jeune homme malvoyant. Je suis glaneuse, je ramasse des choses sur le trottoir ou dans la nature. Je lui avais proposé un protocole : je vais chez lui, je lui apporte ces objets trouvés, je les dispose sur la table ; et lui, les touche avec ses doigts. Ensuite, il invente une histoire avec ces objets et la tape sur sa machine Perkins. C’est très spontané. De mon côté, je crée une gravure à partir de ceux-ci. Il ne doit pas voir ma gravure (il ne le pouvait pas vraiment la voir de toute manière), je la réalise après.
Nous avons passé un an ensemble. Huit œuvres se sont créées comme ça. C’était intéressant de collaborer avec une personne malvoyante. Lorsqu’on lit l’histoire puis qu’on regarde la gravure, ça n’a rien à voir, on ne reconnaît pas les objets, mais on embarque dans le récit retranscrit juste en dessous de l’écriture braille et la gravure.
« L’inspiration vient en peignant, par le geste et le choix des couleurs. Je n’utilise pas vraiment de protocole. » – Dominique Kermène
Vous avez exposé cette œuvre à Nanterre, votre ville. Quels souvenirs en gardez-vous et pourquoi ça compte pour vous de l’exposer ici à Toulouse ?
Nous avions fait venir des non-voyants avec la mission handicap de la mairie de Nanterre. Certains d’entre eux lisaient le braille, d’autres non. C’était génial, ils touchaient l’œuvre. C’était émouvant. Ils étaient avides de toucher, comme s’ils n’avaient pas souvent accès à l’art. Ils utilisaient seulement leurs repères sensoriels du toucher pour s’imprégner des œuvres présentées. J’ai beaucoup d’empathie pour eux. Peu d’expositions s’adaptent au public qui lit le braille. Ça leur permet de découvrir le travail artistique et ça compte pour moi. L’art n’a pas d’unique interprétation.
Qu’apprenez-vous des échanges avec le public ?
Une dame visitait mon expo : l’Engagement de liberté. Elle s’assoit, elle souffre du dos, et je lui dis qu’elle peut se reposer. Je lui explique que si elle est fatiguée, elle peut méditer devant les œuvres, ça fait du bien. Elle me pose la question : « pourquoi vous avez fait des ronds ? » C’était une très bonne question, c’était marrant. Je ne me la suis pas posée pas moi-même. C’était inconscient et évident. Après coup, je me suis dit qu’il s’agit de la forme de l’œil.
Composer n’est pas facile. La forme en braille doit occuper la même place en taille que la gravure en cercle. Un carré rendait cet effet moins impactant. Ces choix relèvent de l’esthétique, mais je ne les réfléchis pas à l’avance.
« Dans le monde de l’art, l’artiste doit être reconnu » – Dominique Kermène
Votre signature sur vos toiles a pris une place nouvelle : que raconte-t-elle de votre parcours ?
Avant, je ne signais pas mes œuvres, mas c’est très important pour moi aujourd’hui. Je me suis emparée de mon nom petit à petit. Il fait partie de la composition, ce n’est pas juste une petite signature dans un coin. Je trouve ça important de mettre mon âme dans ma création. L’expérience de la vie me pousse à m’affirmer, je prends ma place en tant que Kermène. Dans le monde de l’art, l’artiste doit être reconnu. C’est un travail de trouver sa place. Ma signature reste anecdotique : elle garde sa place sans tout envahir, elle reste discrète.

Première oeuvre sur dix de la Série Résonance de Dominique Kermène © William Alimi
Les mots sur vos toiles et les peintures au sous-sol, qu’apportent-ils de plus ?
Parfois, j’aime bien écrire des mots sur mes toiles. Le graphisme des lettres me plaît, peut-être plus que ce qu’elles expriment. J’ai écrit ‘rien’ sur une œuvre, c’est une blague, un contrepied ironique. L’abstraction permet de voir plein de choses, chacun y voit ce qu’il veut.
« [Le] travail d’artisan d’art me plaît […] Cette exposition, c’est une vie d’artiste et ce n’est pas fini » – Dominique Kermène
La série Résonance et la gravure, comment reflètent-elles vos 30 ans de création ?
Il y a temporalité de 30 ans dans cette expo. Mes œuvres mêlent photos, toiles et gravures.
Je place des photos faites il y a trente ans à gauche et des gravures à droite, sur un même support. Cette série s’appelle Résonance (placée en enfilades au sous-sol de la galerie, ndlr). La gravure m’apprend la patience. C’est un boulot de 2 ans. J’ai une autre série de peintures à base de tempera, avec du jaune d’œuf et du piment, et j’ajoute des clous de girofle pour que ça ne pourrisse pas. Je niche aussi des petites peintures sur du papier japon très fin pour pouvoir les coller. Je travaille beaucoup ce papier japon. Mes idées naissent d’un travail artisanal aussi. Je faisais de la photo en noir-et-blanc, c’était de l’immatériel. Je suis passée à la gravure parce que c’est très concret, c’est du métal. Il faut savoir travailler le métal avec des outils. Ce travail d’artisan d’art me plaît, j’aime ce côté créativité et praticité.
Cette exposition, c’est une vie d’artiste, et ce n’est pas fini.