Jules César ne devait rater son entrée enfin au Théâtre du Capitole. La quintessence de l’opera seria se devait par contre de déployer son irrésistible panache baroque d’émotions, orné d’arias superlatives. De la meilleure manière, et c’est chose faite ! Trois représentations vous attendent encore. Consulter dates et horaires.
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Jules César © Mirco Magliocca
Vous relirez mon article-annonce pour, peut-être, apprécier plus aisément un ouvrage qui demanderait des milliers de pages.
Dans son art baroque européen, Haendel érige ici, pour un public londonien, avec un opéra au livret italien, une glorification du pouvoir temporel et spirituel. Pour réussir l’entreprise, il faut, comme les trois Parques et leur fil rouge, réussir une parfaite complémentarité entre musique, chant et théâtre. Nous pouvons l’affirmer au demeurant sans hésiter avec cette coproduction.
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Jules César et Cléopâtre © Mirco Magliocca
Tout d’abord, pour ce Giulio Cesare dramatiquement surprenant, il le faut musicalement comme magique. Il l’est grâce aux musiciens des Talens lyriques menés par leur fondateur Christophe Rousset. Un chef et un ensemble impressionnants d’engagement et d’énergie. C’est l’évidence du récit, des attaques, des attentions, de la fluidité sur la continuité des trois actes. Ces problèmes résolus, on se dit que côté chant, ce sera sûrement plus simple. Mais comme, dès l’Ouverture, le décor nous plonge dans une scène toute blanche, on bascule tout de suite sur la partie théâtre. On s’attend alors à une relecture décapante inspirée par un contexte historico-politique débarrassé d’une Cléopâtre à venir, aguicheuse de façon outrancière. Élizabeth Taylor ne fait pas partie du cast. Plutôt que de jongler avec les époques et les anachronismes Damiano Michieletto a totalement radicalisé le propos en un parti pris dont la rigueur et l’austérité peuvent rebuter une partie du public. Foin de toges, jupettes en lanières de cuir, casques et boucliers et pectoraux, bouts de tissus au mètre…Peu d’éléments suffiront cependant pour suivre la trame du livret et l’on s’étonnera de la sobriété si bienvenue des décors et costumes et lumières. Point d’effets comiques, ni au premier degré, ni au second. Par exemple, on ne joue pas au ballon avec la tête de Pompée.
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Tolomeo, Achilla et César © Mirco Magliocca
Michieletto n’a en tête que les conflits intérieurs des personnages, de ce qui les poussent à assouvir leurs passions amoureuses surtout, leurs désirs – et Cornélie a fort à faire d’où scéniquement, un rôle physique dense et vocalement de même – . La soif de vengeance et/ou d’ambition doit être montrée aussi. Mais si Achilla vient mourir ensanglanté sur le devant de la scène, Tolemeo meurt étouffé dans une bâche en matière plastique dans laquelle est venu se planter les sept poignards qui se chargeront du corps de César, plus tard : prémonitoire. En un mot, la lecture de Michieletto est rigoureuse et essentielle. Seule, la musique a pour tâche de raconter l’histoire à travers les récitatifs précédant les nombreuses arias retenues avec leur caractère tantôt pathétique, tantôt en colère, furieux, dramatique, triomphant. Scène de nus, bien peu, choix des vêtements, et les trois parques, éthérées et à peine dansantes, qui tissent les fils rouges du destin enveloppant, emprisonnant le protagoniste.
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Salut final
Les sentiments des huit étant à la fois temporels et intemporels, en solution la plus évidente, ils seront tous habillés de vêtements disons contemporains. Les costumes et robes sont de sortie, de même que manteaux et livrées sans oublier tee-shirts et chemises et cravates. Remarque : rien ne donne dans le misérabilisme. Michieletto a sûrement voulu nous faire un clin d’œil car j’ai entr’aperçu une Gilda, mais aux gants blancs : n’est-il pas ??
On ne va pas énumérer tout le détail de chaque scène mais l’incontestable réussite de cette Première de Première au Capitole tient évidemment à cette osmose réjouissante entre le drame et la musique, entre fosse et plateau, entre des chanteurs que l’on devine très habités par leur personnage et à la hauteur des exigences techniques et stylistiques de Haendel, côté chant.
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Tolomeo © Mirco Magliocca
On reviendra encore sur les qualités musicales de tous les musiciens, richesse sonore et finesse, et direction inspirée de Christophe Rousset. On ne se préoccupe pas ici des coupures réalisées puisqu’on sait que le spectacle plus complet va bien au-delà des quatre heures. On sait aussi que, pour le public actuel, on peut revoir certains récitatifs. En un mot, il n’existe pas de version unique de Giulio Cesare in Egitto, point.
Si on en vient à s’attarder sur les voix, au lieu de distinguer comme dans l’annonce les Romains des Égyptiens, on fera plutôt voix féminines suivis des voix masculines soit, en tout bien tout honneur, Rose Naggar-Tremblay qui devait au départ chanter Cornélie et qui se retrouve, ravie ! en Jules César, un contralto, idéalement crédible, au timbre digne de succéder à un Senesino, mais à chacun son timbre !.
Arrivant il y a juste quelques jours, la mezzo Irina Sherazadishivli s’empare du rôle de la douloureuse et tragique Cornélie, sans sourciller, et vocalement et scéniquement. Prise de rôle aussi pour Claudia Pavone qui fut, question voix, irréprochable, avec des coloratures étonnantes et…réjouissantes, dépassant la simple virtuosité, scéniquement parfaite et osons-le avec une plastique plus commode à gérer …que d’autres, pour une Cléopâtre !
Key’Mon Murrah est un Sesto moins hystérique qu’à l’habitude, juvénile et fougueux au départ, mais sans trop, et en tant que contreténor, au chant parfait d’un bout à l’autre. Il interprète de façon magistrale l’évolution du jeune homme sans défense au vengeur mature de son père. Le metteur en scène le veut très proche de sa mère. Son compère, si on peut dire, Nils Wanderer, est son contraire dans toute sa perversité, l’adolescent ambigu et cruel, capricieux et vicieux dont on devine les envies les plus viles. Sans ambages, il met au service de son personnage Tolomeo ses qualités nombreuses en tant que contreténor, mais aussi son physique, sans barguigner. Le troisième d’entre eux, William Shelton dans Nireno, a un rôle plus effacé, mais il sait être efficace pour rendre facile et naturelle une expression qui demande technique et application. On l’a entendu dans Voyage d’automne, et il nous a déjà enthousiasmé. On l’attend dans son Midi du Capitole le 27.
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Sesto et Christophe Rousset
On n’oublie pas celui qui a tout déclenché en coupant la tête de Pompée, le baryton Joan Martin-Royo. En Achilla, il s’est glissé dans la production sans problème. Voix et présence. Tout comme Adrien Fournaison, la basse jouant le rôle de Curio, l’aide de camp de César, en attendant des rôles plus conséquents en devenir.
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