Troisième film écrit, réalisé et interprété par Jesse Eisenberg, « A real pain » est une comédie surprenante dans laquelle deux cousins américains partent sur les traces de leur grand-mère juive née en Pologne. Le duo formé par Eisenberg et Kieran Culkin est irrésistible.
« A real pain » n’est pas exactement le film auquel on s’attendait. La « vraie douleur » du titre fait évidemment référence à ce que des millions de juifs ont subi, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, par les nazis. Mais, on le découvre peu à peu, elle sonde aussi le cœur et l’âme des descendants des survivants de la deuxième et de la troisième génération, confrontés à des angoisses qu’ils ont souvent du mal à déterminer. C’est le cas de Benji (Kieran Culkin, éblouissant de verve), trentenaire dépressif qui n’a jamais rien fait de sa vie à part déconner et fumer des pétards. Son cousin David (Jesse Eisenberg), garçon timide et sérieux, marié et père d’un petit garçon, le décrit comme « le type qui éclaire toutes les pièces dans lesquelles il entre…avant de chier partout ». Ce à quoi Benji lui répond : « Gamin, tu pleurais tout le temps ; tu étais hypersensible. Maintenant tu vends des bandeaux publicitaires de merde sur Internet. » Le ping-pong verbal des deux cousins est réjouissant. Il raconte à quel point ils furent proches dans l’enfance et combien leurs chemins se sont séparés depuis, malgré les fêlures et les fragilités qui finalement les rapprochent.
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Jesse Eisenberg et Kieran Culkin dans « A real pain ». Photo Searchlight Pictures
Ces deux personnages aux antipodes – clé d’une comédie réussie – partent pour un voyage d’une semaine en Pologne. Leur mamie chérie était née là-bas avant de s’exiler, contrainte, aux Etats-Unis, et ils ont à cœur de lui rendre hommage. Le périple, de Varsovie à Lublin, se fait en compagnie d’un petit groupe guidé par un historien « non juif », comme il le précise d’emblée (formidable Will Sharpe, tout de sensibilité et d’érudition). Chacun porte en lui un passé tragique plus ou moins bien digéré. Benji, lui, rue dans les brancards. Il affiche son anticonformisme, dérange la vie paisible du groupe, pique une crise quand ils voyagent en train en première classe (quand leurs aînés firent le trajet « dans des wagons à bestiaux »). Jesse Eisenberg réussit la prouesse d’allier récit picaresque et profondeur mémorielle avec la découverte de « la plus vieille tombe au monde » (celle d’un juif), à Lublin, ville chère au cœur de l’écrivain Isaac Bashevis Singer, aujourd’hui joliment restaurée, et la visite du camp d’extermination tout proche de Majdanek. L’émotion est là, intense, ponctuée, souvent, par des éclats de rire, sans que cela ne nuise jamais à l’impératif du souvenir.
Dans cette coproduction américano-polonaise, Jesse Eisenberg, et c’est le seul bémol, reste évasif sur l’implication d’une bonne partie des habitants dans l’extermination des juifs. Dans ce registre, on lira en complément le récit acerbe de Jerry Stahl, « Nein nein nein ! » (Rivages Poche). Le journaliste américain, dont une partie de la famille a été assassinée dans les camps nazis, part en voyage organisé, en 2016, afin de visiter Auschwitz, Buchenwald et Dachau. Il y dénonce, en version humour noir, la froide exploitation touristique, le manque de tenue de certains visiteurs (qui multiplient les selfies, se goinfrent de pizzas et s’engueulent dans les chambres à gaz), le racisme latent de beaucoup de Polonais ou d’Allemands. Comme une version « hard » de la comédie de Jesse Eisenberg.
« A real pain », au cinéma mercredi 26 février.