Après avoir été un Ecuyer dans le Parsifal wagnérien et le Prétendant Léodès dans la Pénélope fauréenne, Enguerrand De Hys revient au Capitole dans un tout autre registre que celui dans lequel il a été applaudi sur cette scène fin 2024. En effet, ce ténor a troqué le costume de Hans Baumann (Voyage d’Automne de Bruno Mantovani), compositeur de chants pour la jeunesse hitlérienne, contre les habits largement plus vaporeux de Mercure, le messager des dieux. Un messager revu et corrigé par Jacques Offenbach ! C’est tout dire…
Rencontre.
Classictoulouse : Deux mots pour vous présenter à nos lecteurs. Et tout d’abord, je pense que vous connaissez bien Toulouse…
Enguerrand De Hys : Tout à fait ! Ma famille paternelle est originaire de la région, à l’origine non loin de Tarbes, le petit village de Hiis, puis dans l’Ariège, et enfin à Toulouse et le Tarn-et-Garonne. Quant à moi, si je suis né à Orléans et grandi à Bergerac, je suis arrivé à Toulouse en 2003 pour la fin du lycée. En 2005, j’ai intégré la classe de chant du Conservatoire rue Larrey. J’ai vécu 6 ans dans la Ville Rose!
Parlez-nous de votre voix et de votre répertoire.
Je suis un ténor léger, c’est-à-dire avec une aisance dans l’aigu et de la facilité dans les vocalises. Mon répertoire est extrêmement varié et j’en suis très heureux. Mes études au Conservatoire National Supérieur de Paris et mes premières années de carrière ont fait que je ne me suis pas spécialisé dans tel ou tel style. Depuis toujours j’aime voyager à travers les époques, les personnages, les compositeurs de musique ancienne jusqu’aux créateurs contemporains.
Faisons un flash-back sur ce Voyage d’hiver de Bruno Mantovani. Comment avez-vous appréhendé cet opéra et votre rôle ?
La production était vraiment passionnante sur tous les plans : le travail avec la metteuse en scène Marie Lambert, le travail musical avec Pascal Rophé le chef et Bruno Mantovani, la rencontre et les échanges avec les autres chanteurs sur le sujet brûlant de cette œuvre qui nous a beaucoup interrogés tout au long des répétitions et même des représentations.
L ’ayant vu et vécu de l’intérieur, j’étais incapable de saisir l’impact de cet ouvrage sur le public. C’est en parlant avec mes amis et les membres de ma famille qui sont venus au Capitole que je me suis rendu compte de la puissance de ce spectacle. Ils ont continué longtemps après à l’évoquer et à me poser des questions.
Concernant mon rôle, Hans Baumann, lorsque j’ai lu sa biographie, j’ai été franchement choqué qu’il ait pu vivre après la guerre sans être inquiété par son passé et son engagement et qu’il ait pu écrire des romans pour la jeunesse avec un certain succès. Certes il n’avait “qu’écrit de la musique” mais enfin c’était pour la jeunesse hitlérienne et à la gloire du régime nazi… Cela pose question tout de même sur le jugement de l’Histoire.
Mon rôle était très informé, puisque Bruno Mantovani a repris des compositions de Baumann (que l’on peut trouver sur Youtube, ce qui est très intéressant et très effrayant à la fois). Par trois fois j’entonnais ses chansons…
Venons-en à ce Mercure de l’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach que vous vous apprêtez à chanter au Théâtre du Capitole. C’est un peu lui qui met le feu aux poudres de l’Olympe !
Oui et non. C’est vrai qu’en révélant le véritable ravisseur d’Eurydice : Pluton, il rétablit la vérité mais, ce faisant, il sauve aussi Jupiter des accusations de sa femme Junon, persuadée que c’est lui qui a enlevé l’épouse d’Orphée.
Votre grande scène se situe au cœur de l’opéra, en plein second acte. C’est un rondo-saltarelle qui ne figurait pas dans la première version de cet opéra et qui est devenu l’un des passages les plus célèbres de l’ouvrage, mais peut-être aussi l’un des plus difficiles à chanter, non pas en terme de tessiture mais de rythme.
C’est un peu comme l’air du Brésilien dans La Vie parisienne. Tout s’enchaîne sur un tempo de folie avec énormément de texte et pas de silences pour respirer. L’air n’est pas long, certes, mais il faut le chanter (sans s’asphyxier!) tout en faisant comprendre tout le texte, d’autant qu’il est extrêmement drôle (comme souvent chez Offenbach!). Nous sommes sur du chant syllabique digne du Rossini le plus dément. C’est l’air de présentation de Mercure : qui est-il, comment vit-il, que fait-il : ses pieds ne touchent pas le sol, un bleu nuage est sa voiture, etc. J’ai l’habitude de chanter Offenbach, mais c’est la première fois que je chante ce rôle.
Quelles autres œuvres d’Offenbach sont à votre répertoire ?
J’ai participé à de nombreuses productions : Geneviève de Brabant à l’Opéra de Montpellier, Fantasio au Théâtre du Châtelet dans la mise en scène de Thomas Jolly, La Périchole et La Vie Parisienne avec Marc Minkowski à l’Opéra de Bordeaux, Ba-ta-clan au Festival de Radio France en version de concert puis avec la compagnie Les Brigands en version scénique, Le Voyage dans la Lune avec le CFPL, Monsieur Choufleuri restera chez lui, et très bientôt Pepito.
Quels sont les prérequis pour bien interpréter Offenbach ?
Être bon acteur et bon chanteur !
Ce qui me paraît essentiel, c’est la clarté du texte. Pour des ouvrages comme Orphée aux enfers, Il faut impérativement que le texte chanté soit compréhensible. Il est si drôle, facétieux et réjouissant! Il ne faut pas oublier qu’Offenbach n’avait pas toujours des chanteurs d’opéra à sa disposition et que souvent il devait écrire ses partitions pour des comédiens de théâtre. Le rôle de Mercure, par exemple, a été créé par un acteur. Il faut donc accepter que prima le parole, poi la musica… Nous ne sommes pas ici dans du beau chant, du bel canto pur. Le challenge est ailleurs, même s’il faut bien chanter !
Il faut aussi réussir à garder le côté « léger », sans tomber dans la vulgarité ou la trivialité.
Pour quels rôles souhaiteriez-vous demain être sollicité ?
Je rêve de chanter l’Aumônier dans Dialogues des carmélites de Francis Poulenc. Non seulement le rôle est idéal pour ma voix mais l’œuvre est aussi mon premier coup de cœur à l’opéra.
Dans les rêves les plus fous et absolument inaccessibles pour des raisons vocales parce que absolument pas pour ma typologie vocale, il y a Werther de Massenet! (mon deuxième coup de cœur après les Dialogues), avec un souvenir impérissable de la Première à Bastille dans la mise-en-scène de Benoît Jacquot avec Jonas Kaufmann, Sophie Koch et Michel Plasson au pupitre! J’en ai même acheté le DVD !
Quels sont vos projets ?
Juste après Orphée, j’enchaîne avec Pepito d’Offenbach, au Théâtre du Blanc-Mesnil à Paris, un spectacle à destination des scolaires en particulier. J’aime beaucoup ce type d’intervention. Le but n’est pas seulement de renouveler le public, mais il est surtout de faire découvrir la musique classique et ses métiers. Faire découvrir aux enfants tous les métiers qui se cachent derrière un lever de rideau ! Je trouve qu’il est important pour nous, artistes, de quitter de temps en temps les ors des théâtres pour aller se confronter à d’autres réalités, d’autres univers. J’ai cofondé en 2014 le Trio Ayonis, avec Elodie Roudet aux clarinettes et Paul Beynet au piano, et nous avons à cœur, en plus de nos concerts et récitals, d’aller tisser des liens grâce à la musique dans des ehpads et autres maisons spécialisées, des écoles. Nous avons souvent participé au “Festival en Voix!” dans les Hauts de France où nous jouons dans des salles des fêtes, des bibliothèques, des cinémas…
Après Offenbach, changement de répertoire avec Le Messie de Haendel mais en allemand, la version de Mozart au Théâtre de Saint Etienne. Ensuite une grande tournée à Reims, Compiègne, Tourcoing et le magnifique théâtre de l’Athénée avec Les Frivolités Parisiennes pour Les Contes de Perrault, un opéra de Félix Fourdrain*, très peu connu, qui mélange tous les personnages de Perrault. Je serai le Prince Charmant. Enfin je rejoins La Monnaie de Bruxelles pour le Remendado dans la Carmen de Bizet mise-en-scène par Dmitri Tcherniakov. J’ai été engagé pour les 14 représentations de cet opéra ! C’est la première fois que je fais une telle série !
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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