Rencontre avec Serge Borras, directeur de la Grainerie
En ce début d’automne, nous entendons beaucoup parler de la Grainerie pour sa participation à la Biennale ou pour son Européenne du Cirque… Seulement, les équipes de Serge Borras ont concocté un vaste programme qui s’étend sur toute l’année. Nous avons échangé avec le directeur de cette fabrique des arts du cirque et de l’itinérance, qui aurait pu parler des heures de chaque proposition à l’agenda. Et ce, toujours avec de justes superlatifs et une infinité d’étoiles dans les yeux. Extrait.
Comment se présente cette nouvelle saison à la Grainerie, et quelles sont les nouveautés ?
La Grainerie est née de la communauté artistique circassienne et la reflète. Aussi, des tendances se dessinent : le cirque de création est majoritairement défendu par de jeunes gens très sensibles à l’actualité, et donc aux thématiques d’inclusion, de luttes sociales et climatiques… C’est rassurant, nous n’attendions pas moins de jeunes gens ! Par contre, et c’est nouveau, ces combats deviennent joyeux. Comme s’ils étaient arrivés à une certaine maturité et que l’acharnement ou les luttes difficiles à mener laissaient parfois place à une joie de se de retrouver pour défendre ensemble des valeurs.
Entre les spectacles sensibilisants aux combats de l’époque et le multicularisme international de la Biennale et de l’Européenne de Cirque, comment définir les valeurs fil rouge de cette année ?
Au global, nous parlons de cirque inclusif. Cela comprend l’égalité de genre, la place accordée à la différence, la lutte contre le harcèlement et la violence… Surtout, le cirque à Toulouse est une vraie métropole dans la grande acceptation du terme “métropolitain”. Il y a, ici, un territoire d’accueil et de développement pour des imaginaires issus d’une vingtaine de nationalités différentes, d’Amérique latine, d’Europe du Nord ou de l’Est… À notre contact, ces imaginaires deviennent fondamentalement toulousains et s’enrichissent les uns les autres.
Nous nous positionnons aussi très concrètement sur les luttes sociales ou climatiques, par exemple sur la question de la présence territoriale avec la compagnie Lapsus -le 1ᵉʳ février la Grainerie-. Ces artistes font une opération en milieux ruraux. Ils tournent à vélo, font des ateliers en pleine nature et réfléchissent à la façon d’organiser d’un spectacle itinérant qui s’adapte à des lieux parfois sans salle dédiée. C’est un pari en termes de cirque et de discipline physique : il faut tenir le rythme ! C’est une façon de limiter les déplacements, de lancer l’idée de tournées raisonnées et de faire un effort de visibilité du répertoire d’une compagnie.
Est-il possible de souligner quelques spectacles immanquables ou avec des propositions particulièrement originales et novatrices ?
La programmation est très dense, c’est quasiment impossible de braquer les lumières sur une poignée de spectacles tant ils ont tous leurs spécificités ! Mais on peut évoquer des artistes comme ceux du Cirque Pardi!. Ce sont des rockstars. Nous craignons presque de laisser trop de personne dehors pour leur performance, tant les places sont demandées ! Leur spectacle Rouge Nord (The End), -samedi 12 octobre-, a été peu vu à Toulouse. C’est l’occasion de les voir pour la dernière. Je les avais rencontrés en 2014, ils avaient pris le pari fou de faire un premier spectacle sous chapiteau dès la sortie d’école. Ils ont réussi. C’étaient eux qui faisaient tout, des décors, aux réparations du chauffage à la conduite des camions !
Mentionnons la compagnie franco-argentine DebilEmmental. Ils feront l’architecture de la Nuit du Cirque -du 14 au 17 novembre-, un moment de thriller psychologique clownesque. Ce sera du cirque, bien sûr, mais teinté d’humour noir. Si le cirque est resté, je l’espère, très populaire et familial, nous sommes ravis de ces propositions plus adultes et jubilatoires. Il y a aussi beaucoup de présence musicale cette année. Nous accueillons, par exemple, Surnatural Orchestra. Ils mettent 21 artistes à la piste, dont 17 musiciens qui forment un big band – du 12 au 21 décembre sur cinq représentations -. Ils se prêtent au jeu de la discipline circassienne en jouant à presque huit mètres du sol et se jettent sur un énorme trampoline avec leurs instruments !
Y a t’il un parcours que vous suivez avec une attention particulière ?
Il y en a beaucoup, mais Nicanor de Elia prend une place particulièrement essentielle dans le paysage avec sa compagnie NDE. Il mélange l’écriture chorégraphique et circassienne. Il a été formé à la danse en Belgique flamande et s’est transformé en metteur en scène chorégraphe avec le don de sublimer les jeunes artistes de sa distribution. Nicanor travaille avec des gens qu’on connait par cœur, qu’on a vu passer dans les écoles ou les stages de professionnalisation, et nous voyons à quel point il est capable de les pousser au meilleur de leur technique. C’est un polisseur de joyaux. On le retrouve pour son troisième spectacle, El Dorado -vendredi 18 octobre-, il prend le parti dingue du geste de jonglage… sans objet de jonglage !
Quel regard-portez-vous sur les dernières années et le chemin parcouru par la Grainerie ?
Je suis arrivé en 2013, sur les traces d’un audit commandé par les collectivités en 2012, ils voulaient des efforts d’organisation, de gouvernance, de visibilité… Nous en avons beaucoup fait. Maintenant, nous sommes plus connus, plus lisibles, et les collectivités ont fait leurs efforts financiers.
Je suis arrivé après les fondateurs et derrière quelque chose guidé par l’utopie. Ma mission était de poser un projet, des lignes conductrices, des modes de fonctionnement, de partenariat et de relations internationales… La prochaine direction partira sur une base plus structurée et pour avoir encore plus d’ambitions. Il y a de quoi faire, Toulouse est devenue une place forte du cirque ambitieux en Europe. La Grainerie est unique. D’autant qu’il y a un potentiel latent à Toulouse qui ne demande qu’à s’exprimer. S’il pouvait y avoir un rapprochement entre la Grainerie et les labos universitaires sur les arts du cirque, nous pourrions afficher des compétences complémentaires qui donneraient à tous une visibilité internationale irréfutable !
Propos recueillis par Adrien Pateau