« Sur Nabucco, la charge mentale du Chœur est énorme » Gabriel Bourgoin
Chef du Chœur et de la Maîtrise de l’Opéra national du Capitole depuis la saison 22/23, Gabriel Bourgoin, fort d’un effectif à parité exacte de 40 membres d’une phalange chorale reconnue comme l’une des toutes meilleures de France, s’apprête à ouvrir la saison 24/25 avec l’un des opus les plus exigeants en matière chorale de tout le répertoire italien, le Nabucco de Giuseppe Verdi. Il nous invite à cette occasion à faire connaissance avec des chanteurs lyriques professionnels dont il est parfois difficile d’appréhender l’intensité du travail. Justement, parlons-en !
Rencontre.
Classictoulouse : De Nabucco, dont la dernière production capitoline remonte à 1987, au Vaisseau Fantôme, que l’on n’a pas entendu au Capitole depuis 1992, en passant par Voyage d’automne, qui est une création mondiale, et Orphée aux Enfers, absent de l’affiche toulousaine depuis 1991, sans oublier Adrienne Lecouvreur, revenant après 36 ans d’absence, il est facile d’imaginer tout le travail d’apprentissage que doit faire le Chœur du Capitole pour cette saison. Comment s’est-il préparé ?
Gabriel Bourgoin : Effectivement, tout le Chœur, ou presque, est au même niveau de découverte de ces ouvrages. Et même pour celles et ceux qui les ont chantés dans d’autres théâtres ou dans des festivals, il est nécessaire de revenir sur ces œuvres. En fonction de la difficulté des partitions, nous nous y prenons plus ou moins longtemps à l’avance. Par exemple pour la création de Voyage d’Automne, nous avons ouvert la partition dès le printemps dernier afin d’appréhender le travail qui nous attendait tant en terme de vocalité que de personnages à interpréter. J’ai d’ailleurs sollicité l’aide de Dorian Astor, le librettiste de cet opéra, afin qu’il vienne nous présenter les enjeux de cette histoire. Nous avons commencé à travailler sur Nabucco courant mai 2024. En janvier prochain nous montons à bord du Vaisseau Fantôme pour le mois de mai 2025. Notre travail se fait en plusieurs étapes. Il y a celle de la découverte, puis vient celle de l’apprentissage et enfin celle passionnante de l’affinage. Au cours de ces étapes nous abordons la musique mais aussi la langue et ses sonorités propres. En même temps il convient d’approfondir la caractérisation des personnages. Les Hébreux ne se chantent pas comme les Assyriens ni comme les marins fantômes. L’étude sur la couleur de la langue chantée, italien, russe, français, etc., est très importante. Le but est d’arriver fin prêt à la « musicale chef », c’est-à-dire la première rencontre entre le Chef d’orchestre et le Chœur. Tout en sachant que le Chœur doit avoir la souplesse de s’adapter à la battue du chef, à ses tempos, tout en ayant une forme de proposition, en particulier en terme de phrasés et de nuances, des propositions qui peuvent nourrir sa relation avec le maestro. Pendant le travail scénique du Chœur, il m’appartient d’être vigilant, en fonction de la mise en scène, à ce que la qualité de la phalange chorale ne soit pas en danger, quitte à faire de petits ajustements, des compromis de quelques secondes parfois. Il ne vous a pas échappé que le Chœur chante sans partition, la mémoire n’étant pas infaillible, il arrive que l’on soit amené à rappeler certaines données juste avant les spectacles lors de ce qu’on appelle des raccords. Sur Nabucco, la charge mentale est énorme et je vois bien d’ores et déjà qu’un petit check up sera le bienvenu entre deux représentations.
Si tous les ouvrages de la saison 24/25 n’ont pas la même densité chorale, deux au moins sont particulièrement chargés : Nabucco et Le Vaisseau Fantôme
Oui, totalement. Dans Nabucco, le Chœur est très présent sur scène, avec beaucoup de texte à apprendre. Dans Le Vaisseau Fantôme, il faut travailler sur la couleur de la langue germanique wagnérienne. Il faut aussi prévoir un effectif choral qui puisse se scinder en deux lorsqu’il doit caractériser d’un côté les marins vivants et ceux du vaisseau fantôme. En tant que chef de cette phalange, je dois également gérer l’instrument vocal, car, si les principaux solistes dans Nabucco sont en double cast, ce n’est pas le cas du Chœur qui va chanter l’œuvre neuf fois en quinze jours. Il est naturel qu’une certaine fatigue s’installe et je dois y être vigilant.
Venons-en à Nabucco et à sa partition chorale qui semble faire du Chœur un personnage à part entière mais également un personnage essentiel de cet opéra. N’est-ce pas la grande révolution verdienne de ce milieu du 19e siècle lyrique, la mutation du Chœur décoratif ou de soutien à un statut de Chœur d’action ?
Effectivement, c’est à partir de Nabucco que nous rencontrons les grands chœurs des opéras de Verdi. Dans cet ouvrage, une partie du Chœur représente non pas une somme de personnages, mais l’unité d’un peuple, tout à la fois témoin et victime de la folie humaine. Ici le Chœur est, tour à tour, dominé ou dominant, cela se sent dans l’écriture de la partition. Il faut donc chercher au cas par cas une couleur et une dynamique différentes. Pour preuve de l’importance du Chœur dans cet opéra, c’est lui qui entame la partition dès le lever de rideau, c’est le peuple des Hébreux en totale panique fasse à l’attaque des Assyriens.
Parlez-nous de ce fameux « Va, pensiero »
Je pense que le succès incroyable, jusqu’à nos jours, et ce n’est pas finit, de ce chœur des esclaves, a largement dépassé ce que Verdi en attendait. Le contexte politique de l’Italie au moment de la création de l’ouvrage en a fait un hymne quasiment national ou du moins de ralliement contre les Autrichiens. En tant que Chef du chœur, je veux me tenir à ce qui se trouve dans la partition pour analyser le succès musical de ce célèbre chœur. Première caractéristique commune aux grandes pages chorales verdiennes, le « Va, pensiero » a sa propre introduction orchestrale, une introduction comme sur la pointe des pieds pour finalement éclater dans un fortissimo tellurique. C’est ensuite au Chœur d’entrer d’une seule et même voix sur une mélodie à l’unisson. Une mélodie de celles qui se retiennent et peuvent être murmurées par tout un chacun. En parlant de murmure, les premières mesures du chœur doivent se chanter sotto voce, sur le souffle. D’abord intime, comme confidentielle et interdite, cette prière va ensuite exprimer toute sa ferveur en un grand fortissimo. À ce moment-là il y a un éclatement du Chœur en 7 voix différentes comme si les Hébreux voulaient ainsi se libérer de leurs chaînes. Finalement, le Chœur va revenir sur un diminuendo vers un unisson murmuré qui va clore ce moment d’éternité bouleversant.
Nous venons d’évoquer l’opéra, mais l’activité du Chœur du Capitole ne s’arrête pas à cette frontière. Quels sont ses autres rendez-vous importants pour cette saison ?
Même si l’activité du Chœur du Capitole est très prise par les productions lyriques, elle ne se résume pas à cela. Le Chœur du Capitole se produit également de manière autonome à Toulouse et dans sa région. De plus, nous participons à la programmation de l’Orchestre national du Capitole à la Halle aux grains. Par exemple, entre deux Nabucco nous chantons, avec le Chœur de Radio France, dans la 2ème de Gustav Mahler, la Résurrection. Pour les fêtes de fin d’année, entre la Missa Criolla de Ramírez et Orphée aux enfers d’Offenbach, nous donnerons la 9e symphonie de Beethoven, toujours à la Halle aux grains, cette fois-ci aux côtés de nos collègues Montpelliérains. Et je peux vous dire que vocalement tout cela n‘a pas grand-chose en commun. Ce qui souligne la nécessité, pour un chœur professionnel, d’une grande souplesse et d’une aussi grande solidité vocale. Cette multiplicité de styles nourrit incontestablement notre adaptabilité vis à vis du répertoire lyrique. Notre mission de service public nous fait aller à la rencontre de nombreux publics pour qui le chœur est souvent la première rencontre avec l’opéra et la musique vocale à travers les extraits que nous prenons tellement de plaisir à leur faire découvrir. Enfin, nous participons régulièrement à des festivals tels que les Chorégies, le Festival de Radio France ou encore le Festival Berlioz. Nous travaillons en partenariat avec d’autres maisons d’opéra comme Montpellier et Tours. Ainsi notre renommée gagne petit à petit au niveau national. La saison dernière, nous nous sommes notamment produits au Théâtre des Champs Elysées pour reprendre Boris Godounov et à la Seine Musicale de Boulogne Billancourt pour un programme montrant toute l’étendue du talent de notre chœur. Nous avons à ces occasions eu, et je m’en réjouis, beaucoup de succès.
Avant de conclure cet entretien je rends évidement hommage aux personnes qui m’assistent précieusement dans l’ensemble du travail que je viens de décrire. Il s’agit de nos pianistes du chœur (Elisabeth Matak-Méric et Hugo Mathieu) dont le rôle ne se réduit pas à un simple accompagnement pianistique, car ils doivent aussi faire répéter une partie des artistes du chœur dans le travail d’apprentissage des ouvrages. Ainsi, la réussite du Chœur du Capitole tient-elle d’un véritable travail d’équipe au quotidien, au service de tous les répertoires et de tous les publics.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
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