Pelleas et Mélisande de Maeterlinck
Opéra national du Capitole
Dimanche 18 mai 2024 • Seconde représentation
Encore « sonné » par cette représentation du chef d’œuvre de Debussy tant la mise en scène capture l’attention et ouvre les portes d’un espace-temps parallèle. Une expérience opératique déroutante et enchantante tout à la fois.
Ici en effet le temps s’étire dans une dimension autre, associant la lenteur de l’action avec le chant au lyrisme contenu, propre à l’ouvrage. L’harmonie est subtile, voire étrange et onirique, en adéquation parfaite avec la mise en scène d’Eric Ruf, convoquant autant l’opacité des outrenoirs de Soulages que la luminosité solaire de certains Klimt ou encore les allusions à l’Île des Morts d’Arnold Böcklin.
Et cette omniprésence de l’eau !…qui lave et qui noie tout à la fois, tout cela sous la menaçante présence d’un filet qui se veut soit arachnéen, piège tendu à ces destinées, soit animé tel le velum d’un immense hydrozoaire. Eau freudienne, eau jungienne, elle a toute sa place dans cette dramaturgie.
L’eau se faisant même Léthé, qui baigne les pieds du lit de la mourante, les trois servantes auprès d’elle, véritables Parques dans cette somptueuse production.
La Direction de chanteurs-acteurs est toujours juste et précise, collant parfaitement à cette musique… Je me suis même allé à penser à notre cher et si regretté Chéreau…
Quant au chant! Difficile de faire mieux que la Mélisande de Victoire Bunel , dans cette blessure perpétuelle, ses non-dits et sa fragilité. Le dernier acte montre une Mélisande ophélisée, déjà dans l’outre-tombe et complètement désincarnée dans son lit de mort au-dessus de l’eau … Quel souvenir !
Difficile de faire mieux que le Pelléas idéal de Marc Mauillon dont la diction est déjà seule une véritable leçon de chant… Associée à un timbre aussi frais qu’un fruit juste cueilli et vous aurez ce qui sied le plus à ce rôle. Qu’il prononce une seule fois le mot « mer » et c’est tout un océan qui s’ouvrira, …qu’il articule la syllabe « on », si redoutable dans le chant lyrique et c’est la rondeur et l’opulence du beau chant français qui s’imposera, sans force, sans artifices, mais avec un naturel admirable.
Le reste du plateau est à l’avenant: Janina Baechle, parfaite Geneviéve dont la seule présence sur scène impose d’emblée le personnage, à l’instar des grandes tragédiennes et ce, avant même la lecture de « la lettre » dont la chanteuse laisse percevoir toute la capitale importance quand aux destinées qui vont bientôt basculer dans le gouffre.
Tassis Christoyannis, magnifique Golaud, dont les tourments psychologiques ont admirablement été incarnés, sans jamais forcer le jeu ni se départir de cette si difficile mission d’investir totalement un rôle si difficile. Son second « Quels enfants! »contenant toute la révolte de cet être.
Franz-Josef Selig, un Arkel granitique et déchirant tout à la fois… Quel luxe d’entendre à nouveau cette magnifique basse wagnerienne sur la scène du Capitole ! Anne Sophie Petit, dans la peau et les souffrances d’Yniold…ici aussi un rôle pour lequel il est si facile de se laisser déborder jusqu’à la caricature. Bravo pour ces passages!
Enfin le médecin, magistralement interprété par notre Christian Tréguier qui, une fois de plus, donne à son incarnation toute l’humanité de son personnage.
Et la direction d’orchestre,…pardon…la Direction d’Orchestre !
Fantastique, se voulant tour à tour suave, limpide, aérienne ou ténébreuse ou encore d’une insondable profondeur… Magnifique direction de Léo Hussain, féru des ouvrages français !
Un rêve éveillé que ce Pélleas et Mélisande !
Une fois de plus, le Capitole a convoqué le meilleur pour son public… d’aucuns pourraient en prendre l’exemple… Tout en haut ou plus bas.
Daniel Martin
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