« Avec Idomeneo, Mozart ose tout, y compris le romantisme » Michele Spotti
Le chef d’orchestre italien Michele Spotti, tout juste trentenaire, fait partie des trésors que nous révèle Christophe Ghristi au cours de ses saisons. Tout comme Victorien Vanoosten, Michele Spotti appartient sans aucun doute à cette génération qui règnera sur la direction lyrique et symphonique dans les proches années à venir. Pour l’heure, et après nous avoir totalement séduit par son approche de La traviata au Capitole il y a un an, le revoici pour un coup double : Idomeneo de Mozart et Cenerentola de Rossini. C’est au sujet de l’œuvre « pivot » de l’enfant salzbourgeois que nous avons rencontré ce maestro que courtisent sérieusement les grandes places lyriques de la planète.
Classictoulouse : Le public toulousain vous a découvert en avril 2023 pour les reprises de La traviata de Giuseppe Verdi. Depuis cette date, récente, quelle a été votre actualité ?
Michele Spotti : L’année passée a été particulièrement dense mais avant tout j’ai été nommé Directeur musical de l’Opéra de Marseille ainsi que de l’orchestre philharmonique de cette ville. J’ai également dirigé à Berlin et j’ai fait mes débuts à l’Opéra Bastille en dirigeant Turandot.
Vous revenez pour une reprise de l’Idomeneo de Mozart. Est-ce une œuvre qui vous est familière ?
Ce sont mes débuts dans cet ouvrage. Bien sûr j’ai vu cet opéra dans différents théâtres et depuis je suis totalement fasciné par cette partition et par le drame qu’elle illustre.
Pourquoi ce Mozart de la maturité est-il si rarement affiché ?
Peut-être parce qu’il y a 4 ténors à distribuer mais au-delà je pense que c’est tout simplement inexplicable rationnellement. Regardez, c’est pareil pour La Rondine de Puccini jusqu’à il y a peu. A présent tous les théâtres l’affichent. Je peux aussi citer Le Voyage à Reims et Le Comte Ory, deux chefs-d’œuvre de Rossini. Beatrice Di Tenda de Bellini est redécouverte de nos jours seulement. Nous voyons bien avec ces exemples qu’il n’y a pas de raisons spécifiques.
Les récitatifs dans cet ouvrage ne sont-ils pas en fait la véritable clé du drame ?
Vous avez parfaitement raison de souligner cela. Tous les récitatifs sont ici essentiels. C’est la première fois dans ma carrière que je fais participer l’étude des récitatifs et du continuo qui les accompagne au travail orchestral. Il est fondamental de créer une interaction entre les deux. J’ai la chance d’avoir deux continuistes extraordinaires, Miles Clery-Fox au clavier et Alexandre Prozorov au violoncelle. Nous travaillons à « tuiler » la partie musicale du continuum et celle de l’orchestre afin de construire aussi le drame de cette manière.
Ce dramma per musica n’est ni un opera seria ni ce que seront plus tard les opéras de la trilogie Da Ponte. N’est-il pas un tournant capital dans l’esthétique musicale et dramatique de Mozart ?
Je crois que dans votre question il y a la réponse à la question du désamour envers cet opéra. En fait nous sommes en présence d’un véritable laboratoire expérimental d’où sortiront les grandes œuvres futures. Véritablement Mozart se présente au monde et à l’Histoire avec cet opéra. Il va aussi demander une virtuosité inimaginable à l’orchestre et je suis heureux de diriger l’Orchestre du Capitole car cet ensemble est capable de répondre à toutes les demandes de la partition.
Les chœurs dans cet ouvrage tiennent une place fondamentale et certainement la plus importante au vu de la production lyrique de Mozart. Etait-ce pour rapprocher le livret de la tragédie antique ?
Effectivement, nous pouvons considérer que l’utilisation très importante des phalanges chorales est en quelque sorte un hommage à la tragédie antique. D’ailleurs Mozart utilise ici un double chœur, encore une référence au passé. Mais attention, à l’examen approfondi du personnage d’Ilia par exemple, nous voyons bien apparaitre des caractéristiques dramatiques que nous retrouverons dans la suite des œuvres de Mozart. Idomeneo est aussi un opéra sans un quelconque rayon de lumière, tout est très sérieux alors que dans les autres ouvrages lyriques de Mozart il y a toujours un moment voulu de baisse de tension dramatique. Ici ce n’est pas le cas. Il n’y a aucun moment de respiration mentale. Et pour les interprètes c’est difficile.
Lors de sa création Mozart avait à sa disposition l’Orchestre de Mannheim qui passait alors pour le meilleur du monde. Est-ce pour cela que cet opéra est quasiment symphonique ?
Je suis totalement d’accord. C’est une symphonie de 3h extrêmement vivante, riche en couleurs et même, incroyable, en leitmotivs. Nous sommes tous d’accord pour reconnaitre que, pour différentes raisons, cet opéra n’a pas la perfection formelle de ceux qui suivront. Mais Mozart ici ose des choses inimaginables à son époque. Là nous avons la pâte du génie. Et c’est d’ailleurs dans ses imperfections, si l’on peut dire en parlant de Mozart, que le créateur apparait. Je le répète, Mozart ose dans Idomeneo des choses qui vont beaucoup plus loin que tout ce qu’il fera par la suite. C’est pour cela que cette œuvre est fondamentale à la compréhension de ce musicien. C’est en fait une œuvre « sans filtre », d’une incroyable liberté.
Il est d’usage de faire des coupures dans la version dite primitive faisant près de 4h…
Nous donnons ici la version de Vienne (1786) avec un ténor pour chanter Idamante tel que souhaité par Mozart alors. Le choix de Cyrille Dubois pour interpréter ce personnage est parfait car on ne peut rêver mieux. Du coup j’ai ouvert tous les récitatifs de ce personnage. Par contre nous ne jouons pas le ballet final qui dure 20’ et qui, franchement, n’est pas indispensable après une œuvre lyrique de plus de 3h. Il m’est arrivé de diriger ce ballet mais à part, dans un programme de concert. Je souhaite ajouter que nous avons conservé les deux airs d’Arbace, souvent hélas coupés, y compris le magnifique récitatif de son deuxième air qui est d’une puissance incroyable. Tout à l’heure vous me disiez que ce récitatif dans lequel Arbace prédit la destruction de Sidon se retrouve en écho avec le récitatif de Norma avant le Casta Diva. D’où l’importance de le conserver.
Quelle est globalement votre approche de cet ouvrage ?
Pour moi Idomeneo est quasiment romantique. Ecoutez l’orchestre, il est complètement tellurique. Les chanteurs, quant à eux, doivent impérativement incarner leurs rôles en utilisant les dynamiques les plus étendues. L’orchestre est toujours là pour les soutenir.
Nous allons vous retrouver très rapidement puisque vous allez diriger également les reprises au Capitole de Cenerentola. Quels sont vos autres projets ?
Entre Idomeneo et Cenerentola je vais à Montpellier pour diriger les Victoires de la musique. Après Toulouse je dirige Les Noces de Figaro à Marseille. Je suis très curieux de voir comment je vais aborder Cenerentola au Capitole car Rossini est le compositeur avec lequel j’ai débuté et celui que je dirige le plus. Mais avec mes années d’expérience à présent je suis impatient de voir comment je l’appréhende aujourd’hui. On se revoit pour en parler ? Par la suite je retourne à l’Opéra de Paris, puis à Vienne.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Un article de ClassicToulouse
> Idomeneo, Re di Creta, l’un des sommets du théâtre lyrique mozartien