Elle est l’une des figures de la scène lyrique mondiale. Christophe Ghristi lui ouvre, depuis sa nomination à la direction de l’Opéra national du Capitole, les portes de l’auguste demeure toulousaine. Pour le plus grand bonheur des mélomanes. En ce début d’année 2024, Sophie Koch affronte pour la première fois le rôle tellurique de La Nourrice dans la non moins volcanique Femme sans ombre de Richard Strauss.
Rencontre avec une cantatrice qui enchaîne les prises de rôle.
Classictoulouse : Quel a été votre premier contact avec cet ouvrage, comment l’avez-vous découvert ?
Sophie Koch : C’était il y a une vingtaine d’année, j’ai vu à Dresde une représentation de FROSCH (FRau Ohne SCHatten), comme on appelle cet ouvrage en Allemagne. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais trouvé cet univers totalement enivrant. On y retrouve toutes les couleurs et enchaînements harmoniques tellement signifiants de Richard Strauss, peut-être enrichis ici de timbres propres à l’illustration de l’univers du conte dans cette confrontation permanente des deux mondes.
Quelle a été votre réaction lorsque Christophe Ghristi vous a proposé cette prise de rôle de La Nourrice ?
Comme toujours, Christophe Ghristi me propose depuis 2019 des rôles fabuleux qu’il est le premier à me donner. Je lui dois cette fois-ci de pouvoir aborder les Strauss de la maturité, après plus de 500 représentations du Chevalier à la rose et d’Ariane à Naxos. Un rêve !!
L’ambitus réclamé par le compositeur à son interprète dépasse les deux octaves avec des plongées vertigineuses dans l’extrême grave et des notes au-dessus de la portée, jusqu’au si-bémol. Et tout cela colossalement orchestré. Les difficultés semblent nombreuses et le challenge un peu terrifiant, non ? Comment gérez-vous votre voix durant toute cette période comprenant répétitions et représentations ?
Il m’a fallu beaucoup de temps pour intégrer cette écriture très particulière, typique d’un rôle de caractère. Il y a énormément de texte, des intervalles difficiles, un ambigus large… Peu à peu, page par page, il est indispensable de le mettre non seulement dans sa voix mais aussi dans son corps pour finir par ne plus avoir peur du côté dramatique. Un travail de plus de six mois. Et puis garder le souci de la ligne, le chanter constamment pour éviter de « l’aboyer »!
Vous avez abordé récemment et avec succès au Capitole le rôle d’Isolde. Vous laisseriez-vous tenter par le rôle de La Teinturière ?
Je n’ai aucun regret pour La Teinturière ! C’est clairement un rôle de soprano, beaucoup plus qu’Isolde. De plus il est très différent dans l’écriture. Avec une autre voix, c’est plutôt L’Impératrice qui m’aurait tenté. Mais j’ai la chance de faire mes scènes avec elle !!
Malgré son nom de Nourrice, votre personnage est inquiétant. Que nous raconte-t-il et quel portrait en tracez-vous ?
C’est un personnage important qui tire les ficelles et est essentiel à la dramaturgie. Clairement, il est l’opposé de L’Impératrice. C’est un rôle « noir » peut être un peu caricatural, avec cependant quelques moments de comédie amusants à jouer. J’essaie surtout de la rendre inquiétante.
Est-ce qu’une interprétation live ou au disque vous a marqué et vous a inspiré ?
J’essaie de m’approcher de ce que fait Marjana Lipovsek car c’est fluide, rond et surtout toujours chanté.
Le thème de cet opéra, celui de la maternité, est-il intemporel ou bien ce livret est-il à jamais inscrit dans l’univers des contes et légendes ?
A travers le conte et ses symboles, il y a toujours une réflexion sur les problématiques humaines bien sûr. Chacun peut y voir un écho à son propre vécu. Pour moi, au-delà de la maternité, il y a aussi la concupiscence dans le sens religieux du terme. Le renoncement de L’Impératrice à avoir une ombre pour laquelle elle devait sacrifier La Teinturière est salutaire à tous.
Quels sont vos projets après le Capitole ?
Je pars à Munich après le dernier spectacle ici pour chanter Lisa dans La Passagère du compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg. C’est un opéra contemporain qui a été créé en version scénique complète en 2010 à Bregenz. Son thème est difficile car il nous replonge dans les camps nazis.
Avez-vous en perspective des prises de rôle que vous voulez bien nous confier ?
Oui, bien sûr. Tout d’abord cette saison ce sera Hérodias dans la Salomé de Richard Strauss, puis Geneviève dans le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, enfin Madame de Croissy dans Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. Richard Strauss de nouveau à l’automne 2025 en Finlande pour ma première Clytemnestre d’Elektra et mes débuts à Aix dans Louise de Gustave Charpentier dans le rôle de La Mère.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Un article de ClassicToulouse
> La Femme sans ombre, ou sa capacité à souffrir, sa capacité à aimer